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de Ravenne, c’est-à-dire au XIe siècle ; mais elle n’en existait pas moins ; et le vieux nom d’Yeu qu’elle porte a même une physionomie plus gallique et plus authentique que son nom roman d’Oia visiblement très altéré, et semble rappeler le dieu des Gaulois Esus ou Hésus, que l’on vénérait quelquefois comme le génie terrible de l’Océan[1].

Un très grand nombre de localités de l’île portent encore des noms dont le préfixe « Ker » est une véritable signature bretonne : Ker-Viraux, Ker-Chalon, Ker-Rabaud, Ker-Bony, Ker-Borny, etc. Un vieux château quadrangulaire, qui parait, dater du XIe siècle, dresse sa puissante ossature au-dessus des falaises de la « côte sauvage, » et ses murailles sombres, sans cesse battues par le vent et les vagues, semblent faire partie de la roche elle-même. L’énorme colosse, entouré de grottes dans lesquelles s’engouffre le flot des tempêtes, résiste toujours à ces terribles assauts. Peu de ruines ont une plus fière tournure et plus grand air. En somme l’île rocheuse d’Yeu, qui est détachée de la terre depuis l’origine de notre période quaternaire, n’a pour ainsi dire aucune parenté avec la côte alluvionale du Poitou qui lui fait face. C’est, géologiquement, ethnographiquement, une épave de la vieille Armorique perdue au milieu de l’Océan.

Quoique beaucoup plus importante que l’île d’Yeu, l’île de Noirmoutier n’est mentionnée par aucun géographe classique des premiers siècles ; et ce silence, sans en être une preuve absolue, est une présomption qu’elle n’existait pas à l’état d’île à l’origine de notre ère, et qu’elle était alors reliée au continent, qui en est d’ailleurs tout à fait voisin. Le petit archipel du Pilier, dont les rochers sont aujourd’hui battus de tous côtés par les vagues à plusieurs encablures de la pointe Nord de l’île, en faisait alors partie, et la séparation des deux massifs est géologiquement toute récente. Ils ont été longtemps soudés l’un à l’autre, constituant un long noyau granitique recouvert de couches de grès et de calcaire, émergeant au point de rencontre des deux principaux courans qui longent les côtes voisines : l’un venant de la Manche et apportant les vases et les limons charriés par la Loire, l’autre remontant du Sud au Nord et venant heurter les falaises rocheuses de l’île qui font face à la « mer sauvage. »

Un autre petit massif calcaire, ayant à peine une cinquantaine

  1. Valois. Notit, Gall., E. Desjardins ; Gaule Romaine, op. cit.