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pour elles un signe de ralliement et un moyen de se reconnaître. Elles souriaient, et quoi de plus pitoyable qu’un sourire où nous ne pouvons plus apercevoir qu’une grimace ? Ces personnes souriantes étaient aussi bien promptes à s’attendrir, et quoi de plus plaisant que des attendrissemens dont la cause nous laisse désormais insensibles ? La promenade serait divertissante, parmi ces élégances passées de saison, et ces « supériorités » qui ne se portent plus. Mais le fait est que nous ne sommes guère d’humeur à nous y divertir, et que nous n’avons, pas même un peu, l’envie de nous en égayer. Non ; ce n’est pas ici matière à raillerie. Et s’il est vrai que nous avons subi alors une de ces crises qui rien qu’en se prolongeant deviennent mortelles, celui-là serait impardonnable qui traiterait un pareil sujet sans gravité et sans émotion. Chaque génération a sa marque particulière. Celle de 1830 est fameuse pour son enthousiasme et celle de 1850 pour son sens des réalités positives. Celle de 1880 restera célèbre pour avoir été comme le terrain où devait éclore, germer et s’épanouir toute une flore malsaine.

La première en date et en importance parmi ces maladies, ç’a été le dilettantisme. Réputé jadis pour son bon sens un peu court, et pour la lucidité de son esprit un peu étroit, le Français se découvrit tout à coup une intelligence indéfiniment compréhensive. Nulle idée ne lui paraissait plus vraie ou fausse, mais vraie et fausse tour à tour ou tout ensemble. Entre le bien et le mal, il n’apercevait plus d’opposition irréductible. Nulle part aucune distinction tranchée, mais seulement des nuances imperceptibles se résolvant l’une dans l’autre par une série de dégradations continues. Nulle assertion qui ne dut être aussitôt corrigée par l’assertion contraire. Une rhétorique nouvelle enseignait à ménager d’habiles transitions, en sorte que la fin de chaque phrase en détruisit le commencement. Ainsi entraîné d’un pôle à l’autre et sans cesse emporté dans un mouvement de pendule, l’esprit devenait incapable de se fixer, c’est-à-dire de choisir, de conclure et de se décider. Il fallait tout comprendre, partant tout admettre. Un seul état d’esprit paraissait intolérable ; c’est ce qu’on appelait entre initiés « l’horrible certitude. » L’origine de ce mouvement remonte à Renan dont l’influence a si lourdement pesé sur cette génération pénétrée de son esprit. Il se plaisait alors à donner par les propos frivoles de sa vieillesse un démenti à une vie consacrée tout entière à la recherche laborieuse de la vérité. Pour sa part, il continuait de rester fermement attaché aux principes de la critique rationaliste et d’avoir la même foi inébranlable dans l’avenir de la science : aux autres, il recommandait une philosophie de doute universel, d’indifférence sceptique,