commun, qu’ils subordonnent la musique au drame. « L’erreur de l’opéra, comme genre artistique, consiste en ceci, qu’un moyen (la musique) y est traité comme but, et le but (le drame) comme moyen. » Le maître d’Iphigénie eût souscrit à cette déclaration du maître de Tristan. Témoins l’un et l’autre, et plus que témoins, livrés en quelque sorte à ce que M. Hanslick appelle très bien « la lutte intime des deux éléments de l’opéra, » Gluck et Wagner ont pris l’un et l’autre le même parti. Qu’après l’avoir pris en théorie, ils l’aient trahi quelquefois dans la pratique ; entraînés par leur génie de musiciens, qu’ils aient apporté à leur thèse de dramaturges des tempéramens, voire des contradictions éclatantes, admirables même, cela est certain, et cela est heureux. Mais cela n’est pas la question que nous rappelons aujourd’hui. Nous ne parlons ici que de leur commune doctrine ; ils ont pu tous deux y manquer, mais ils l’ont professée et confessée tous deux.
Ils l’ont d’ailleurs appliquée à des sujets opposés et par des moyens contraires. Gluck, on ose à peine le redire encore, est le grand musicien de l’antiquité. Comme Henri Heine, mais à la condition d’entendre le mot plus largement, Wagner aurait pu se qualifier de romantique impénitent. Et puis, et surtout, le génie de Gluck est essentiellement verbal ; celui de Wagner est instrumental ou symphonique. L’un fait de la parole, et l’autre de l’orchestre, le principal agent de l’expression, le centre ou le sommet de la beauté. Le premier acte d’Iphigénie et celui de Tristan renferment chacun un récit. La fille d’Agamemnon, prêtresse de Diane, confie à ses compagnes un rêve affreux. La princesse d’Irlande rapporte à sa suivante Brangaene sa première rencontre avec Tristan, sa beauté, ses bienfaits par lui méprisés et sa naissante haine. Ainsi, dans les deux opéras, au commencement, des faits nous sont racontés, qu’il nous importe également de connaître. Dans l’un, c’est l’orchestre, — et quel orchestre ! — qui nous les raconte ; dans l’autre, c’est la voix, — et quelle voix aussi ! — J’accorde que dans la symphonie de Wagner on peut apercevoir certaines beautés mélodiques et chantantes, quelques tournures même à demi italiennes. Et sans doute, sous les paroles d’Iphigénie, ou plutôt entre elles, l’orchestre pose çà et là des touches simples et fortes : au début, une seule note, trois fois répétée, annonce de graves discours, et, plus loin, accompagnant la vision du meurtre, d’autres notes, à l’orchestre toujours, se détachent et semblent perler comme des gouttes de sang.
Il arrive même que Gluck et Wagner, ces deux extrêmes, se touchent plus longtemps encore et plus à fond ; qu’on surprenne entre