Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/48

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Aux États-Unis, dans les élections de 1892, les démocrates ne réunirent que 47 pour 400 des suffrages émis ; ils obtinrent 59 pour 100 des sièges au Congrès. En 1894, à la vérité, ce fut le parti républicain qui, avec 48 pour 100 de suffrages, élut 68 pour 100 des membres du Congrès.

Que sera-ce, lorsqu’on n’aura plus seulement affaire aux caprices du hasard, mais que la détermination des circonscriptions sera aux mains d’un gouvernement qui ne recule devant aucun remaniement pour altérer à son profit le verdict du corps électoral ? Le second Empire avait la réputation de pousser fort loin l’art d’infuser dans des arrondissemens douteux des cantons bien pensans ; cependant, quelle qu’ait été sa dextérité géographique, il doit rendre des points aux politiciens du Nouveau Monde qui, dans certaines élections du Massachusetts, ont su assurer, par d’habiles découpages, la totalité des sièges à un même parti, alors que son concurrent, malgré son chiffre supérieur de voix, n’en obtenait aucun. Un journaliste de Boston faisait observer qu’un des districts, ainsi fabriqués en dépit de toutes les convenances topographiques, par le gouverneur Gerry, offrait l’image exacte d’une salamandre : « Dites une gerry-mandre, » interrompit un des assistans. Le mot fit fortune aux Etats-Unis, et il a même passé dans la langue politique de l’Europe, qu’il a enrichie d’un verbe nouveau : gerrymander. — Ainsi comprise, l’élection n’est plus qu’une comédie, et une comédie qui peut tourner au drame, comme dans le canton du Tessin, où la révolution de 1890 se donna pour mot d’ordre l’équation suivante :

12 166 libéraux = 35 députés.
12 783 conservateurs = 77 députés !

Si la compensation n’existe pas dans l’espace, ne peut-elle se produire dans le temps ? On l’a prétendu, en alléguant que chaque parti bénéficie à son tour de ces inégalités. Ainsi, dans le canton de Genève, en 1876, le parti radical obtint 100 députés au Grand Conseil, sur 104 ; en 1878, il fut mis à la portion congrue, et ce furent ses adversaires qui remportèrent plus de cent sièges, grâce au revirement de quelques centaines d’électeurs dans les divers collèges ; enfin, aux élections de 1880, il reprit l’avantage sur toute la ligne. En Belgique, les catholiques ont reçu plus que leur part de mandats dans les élections législatives de 1884, 1888 et 1 892 ; les libéraux, dans celles de 1886 et 1890. Un sénateur belge, bien connu par ses ingénieuses applications des sciences