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physiques aux phénomènes biologiques et sociaux, M. Ernest Solvay, a même essayé de régulariser cette situation, en proposant un système de représentation proportionnelle, qui aurait permis de reporter d’une élection à l’autre les suffrages inutilisés par les différens partis, partout où ceux-ci s’étaient trouvés en minorité. — En attendant, chercher l’expression exacte ou même moyenne de la volonté nationale, dans un rythme dont l’amplitude est déterminée par le hasard, c’est attendre l’heure vraie d’une montre qui tantôt avance et tantôt retarde d’un nombre indéterminé d’heures. D’ailleurs, ce qui nous importe, c’est que nos vues soient représentées immédiatement et non quand nos adversaires auront eu, pendant une période indéfinie, le champ libre pour abuser d’un pouvoir sans contrôle. L’alternance périodique de deux despotismes n’est pas la liberté ; deux iniquités en sens contraire ne créent pas la justice.

Faut-il insister sur les conséquences morales ou plutôt démoralisantes de ce régime ? L’élection n’est plus la désignation paisible et réfléchie des hommes que leurs coreligionnaires politiques estiment les plus capables de travailler à l’application de certaines idées ; c’est une lutte sans merci où chacun ne songe qu’à dépouiller ses adversaires. Il s’agit à la fois d’être représenté et d’empêcher les autres de l’être. Comme le résultat peut dépendre du déplacement de quelques voix, — peut-être les plus impressionnables ou les plus vénales, — il n’y a pas de promesses, de calomnies, de corruptions qui ne soient mises en jeu pour capturer des suffrages, — surtout quand le prix de la victoire n’est pas seulement la possession de la députation, mais encore, peut-être, la conquête du pouvoir. Les hommes de valeur se retirent de plus en plus des compétitions électorales ; celles-ci deviennent le champ clos de politiciens pour qui la fin justifie les moyens.

Jusqu’ici, je n’ai supposé que deux partis en présence. Quand il y en aura trois ou plus, sans qu’aucun d’eux possède la majorité absolue, que deviendra un régime fondé tout entier sur l’existence de cette majorité ? On peut, sans doute, accepter la règle pratiquée en Angleterre, qui confère les mandats aux candidats de la minorité la plus nombreuse, mais c’est là un terrible accroc au principe du gouvernement par la majorité. Les Anglais ont pu s’en accommoder, parce que, en fait, ils comptent seulement deux partis dans leur corps électoral ; mais qu’un troisième vienne à se constituer sérieusement, ils sont gens trop