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soient méconnus et lésés. Cette manière de concevoir sa grandeur n’est pas sans inconvéniens pour la France, et cela pour deux motifs : d’abord elle nous maintient nous-mêmes dans un état de nervosité qu’un pays ne saurait supporter longtemps sans s’exposer à quelque coup de tête ; ensuite elle fait croire aux autres que nous sommes, en effet, à la veille de nous laisser entraîner à quelqu’une de ces imprudences qui sont malheureusement assez fréquentes dans notre histoire, mais dont nous nous étions crus guéris. Entre ce nationalisme et le nôtre, il y a une grande différence. On nous demandera peut-être quel est le nôtre : il consiste à ne rien abandonner des droits de la France, à ne rien sacrifier de ses intérêts, mais à les défendre avec méthode, avec sang-froid, sans provocation, ni menace, pour les autres, en un mot sans défaillance, mais sans forfanterie. Nous sommes sûrs qu’aucun nationaliste de profession n’aime l’armée d’un amour plus sincère et plus profond que le nôtre. Nous sommes douloureusement sensibles à toutes les atteintes qu’on a quelquefois portées chez elle à l’esprit de discipline du soldat et à sa confiance envers ses chefs. Nous voulons qu’elle soit forte et respectée ; aucun sacrifice ne nous coûte à cet effet. Mais ce sont là des choses qui nous paraissent aller de soi si naturellement que nous n’en parlons pas sans cesse, que nous ne haussons pas la voix jusqu’au tragique lorsque nous en parlons, que nous n’en faisons pas l’objet ordinaire ou exclusif de nos discours. L’armée est notre pensée la plus chère, parce qu’elle est la condition de notre indépendance et de notre existence nationales ; mais nous ne nous croyons pas obligés de lui en donner tous les matins une preuve retentissante, en nous exaltant et en essayant de l’exalter elle-même dans un paroxysme de nationalisme aigu et violent. Les conditions de la vie normale sont les mêmes pour les nations que pour les individus : il y faut, comme disaient les anciens, une certaine tempérance ou, si l’on aime mieux, une certaine modération qui permette à toutes les qualités de se développer les unes à côté des autres, sans qu’aucune d’elles étouffe la voisine sous prétexte d’exercer des droits supérieurs. En un mot, et puisqu’on a donné au mot de nationaliste un sens si particulier, nous le laissons à d’autres, pour nous contenter d’être patriotes comme l’ont été jusqu’ici tant de bons Français, qui sont prêts à tout sacrifier à la France, mais qui ne la sacrifient pas elle-même aux exigences d’une passion maladive et désordonnée. Si l’on écoutait nos nationalistes, il y a bien peu de jours où nous ne serions pas obligés de partir pour la guerre, tandis qu’à nos yeux la guerre doit être une exception très rare, à laquelle il