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pénibles à l’amour-propre national. Depuis bien longtemps, il n’avait pas été mis à une aussi dure épreuve. L’émotion, toujours contenue, a été sans cesse en grandissant. Les Anglais savent couvrir d’un masque impassible les sentimens les plus forts : pourtant, à la longue, le masque tombe ou se dérange, et l’on commence à apercevoir ce qu’il y a derrière. Il y a d’abord, disons-le, une résolution immuable d’aller jusqu’au bout, et de faire les derniers sacrifices pour relever le pays des disgrâces qu’il vient d’éprouver ; mais en même temps la désapprobation et l’irritation contre les hommes qui ont si aveuglément poussé à cette aventure commencent à percer. Et c’est un ministre, le plus important de tous à la Chambre des communes, M. Balfour, qui a rompu la glace. Il a éprouvé le besoin de donner quelques explications qu’on ne lui demandait pas encore, ou du moins qu’on ne lui demandait pas tout haut. Son discours de Manchester a étonné ; on ne s’y attendait pas. Il n’en est pas sorti de lumières bien vives ; la chaîne de l’argumentation n’est pas bien logique ; il contient néanmoins quelques aveux qui méritent d’être recueillis.

L’argumentation de M. Balfour est quelque peu contradictoire, en ceci surtout que, d’après lui, tout ce qui s’est passé était inévitable ; mais que cependant, si le gouvernement avait cru ne pas pouvoir l’éviter, il aurait procédé tout autrement. Il aurait fait effort pour arriver à un arrangement avec les Boers. On ne saurait dire en termes plus transparens qu’on n’a pas fait cet effort, qu’on n’a pas cherché cet arrangement, en un mot qu’on a voulu la guerre, et certes cela est grave. Il est vrai que, dans un autre passage de son discours, M. Balfour assure que le gouvernement anglais voulait la paix, qu’il comptait sur elle, et qu’il a été dérangé dans ses calculs lorsqu’il s’est trouvé en face de la guerre. Il voulait la paix et il n’a pas fait ce qui était nécessaire pour la conserver ! Il ne l’a pas fait, parce qu’il n’avait pas prévu que la guerre tournerait si mal ! Concilie qui pourra ces allégations opposées : nous ne nous en chargeons pas. Quoi qu’il en soit, il faut retenir que, si le gouvernement anglais avait été mieux éclairé sur les conséquences de sa politique, il en aurait très probablement suivi une autre.

Et pourquoi n’était-il pas mieux éclairé ? Ici, les explications de M. Balfour sont encore mieux faites pour surprendre. Le gouvernement, dit-il, n’avait aucun moyen spécial d’information ; tout le monde en savait autant que les ministres, et il n’y avait pas de secret. Si le gouvernement a péché, il l’a fait avec ceux qui connaissaient le mieux les affaires sud-africaines. L’opinion était avec lui et n’a pas cessé de