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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/534

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à ce but. Voilà donc sous quel jour il faut envisager cette guerre, pour n’avoir ni regrets, ni aucuns doutes sur sa nécessité et sa justice[1]. » C’est ainsi qu’une église fourvoyée assoupit les consciences et qu’un méthodisme sotériologique finit par sanctifier, en vue du but sacré, les moyens les plus condamnables. Un tel langage vous soulève le cœur, et vous met en colère contre ces ministres de l’Évangile qui trahissent le Dieu de justice. Il vous fait comprendre comment une exagération inique a pu parler des « trois P’s » de Pecksniff, Pirate, and Pharisee. Mais, au lieu de vous livrer vous-même à ces excès, prenez bien garde, que c’est encore et toujours le même méthodisme du docteur Philips qui, en 1835, provoqua le grand exode, et qui, à présent, après tout un siècle d’avortemens, donne de l’éperon à l’Impérialisme d’un Chamberlain, et couvre du nom de Jésus-Christ la violation la plus flagrante du droit, ainsi que la rapacité des richards de la Chartered.

C’est bien sous cette couleur chrétienne de l’Impérialisme que se cache le pire péril. Ce sont ces méthodistes, parfaitement intentionnés, j’en suis convaincu, mais malheureusement égarés, qui, par la violation ouverte de droits acquis et par toutes les atrocités d’une guerre d’extermination, se croient chargés, de par la grâce de Dieu, d’aller porter leur civilisation anglo-chrétienne aux Boers de l’Afrique australe. Et ce qui règne parmi ces Boers, c’est le calvinisme, qui a été la gloire et la grandeur des Écossais. Ils les entendent prier encore de ce ton fervent qui rendit la prière des Convenanter toute-puissante, chanter ces mêmes psaumes qui furent le chant guerrier de leurs ancêtres dans leur lutte contre l’absolutisme. Mais plutôt, eux-mêmes, ils restent chez eux. C’est la Reine, avec sa noblesse, qui fait la guerre, et le peuple remplit le Trésor pour les mettre en état d’enrôler des mercenaires. Là-bas, c’est tout un peuple, pères, fils et petits-fils, qui, au nom de Dieu, versent leur sang pour leur patrie, et savent déployer une force morale qui tient le monde en suspens. Les Boers ne se vantent pas, ils ne changent pas leurs défaites en victoires, ils traitent bien leurs ennemis, ils soignent les blessés anglais en bon Samaritain, et leurs généraux, quand ils haranguent ces citoyens, ne les engagent jamais à s’en fier à leur tir infaillible, mais toujours à ne mettre leur confiance qu’en Dieu. Churchill lui-même, prisonnier évadé, a reconnu qu’un « pouvoir invisible » protégeait leurs commandos.

  1. La Foi et la Vie. 1899, 19 déc., p. 383.