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despotique de la sensualité, soit dans celui de l’orgueil ; et il ne saurait être douteux de quel côté penche le caractère anglais : « Combattre tout le monde, et prendre tout ce qu’on peut[1], » est l’expression vulgaire de ce sentiment hautain, qui veut planer au-dessus de tous. Dans les affaires coloniales, cette tendance s’accuse davantage par la prééminence incontestable de la flotte anglaise, par la supériorité de toute race blanche, et par la présomption que les Anglais, les colonisateurs par excellence, sont les grands bienfaiteurs des pays d’outre-mer. Cependant, et sans vouloir nier que les Settlements de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, puissent passer pour des modèles, l’article de M. A. Filon dans la Revue du 15 novembre, et celui de M. Robert Buchanan dans la Contemporary Review, suscitent des doutes trop fondés, quant aux bienfaits de la suprématie anglaise dans les Indes. La peste et la famine qui y règnent semblent donner corps à cette appréhension. Mais, en tout cas, on comprend que le respect du droit risque singulièrement de s’affaiblir chez une nation colonisatrice, une fois que la conception d’un droit évolutif, et par-là même mobile, s’est installée dans l’âme de ces aventuriers sans scrupules, qui se piquent d’arborer le drapeau anglais jusque dans les recoins les plus reculés de l’Asie et de l’Afrique.

Malheureusement, le mouvement chrétien en Angleterre ne met aucun frein à cette tendance des esprits. Au contraire, il l’encourage. Le dogme de la justification, ce rempart infranchissable pour la défense même de tout principe de droit, est absorbé dans la sanctification. La leçon des vieux Covenanter, « d’être aveugle quant à l’issue, mais d’avoir l’œil fixé au commandement, » est oubliée même en Écosse. On s’habitue de plus en plus à l’idée d’identifier l’empire britannique avec le royaume de Dieu, et d’anglicaniser jusqu’au Christ même. « Dieu a créé et largement étendu l’empire britannique, et en même temps aussi le christianisme anglais. Le véritable impérialisme voit, dans chaque nouveau territoire, une extension de la glorieuse tâche de répandre l’évangile du Christ anglais[2]. » Et même, dans une récente réunion de l’église libre d’Edimbourg, on ne s’est pas retenu d’applaudir chaudement un ministre de l’Evangile qui s’écriait : « Ce dont l’Afrique a besoin, c’est d’une civilisation chrétienne. La guerre présente est une partie du prix qui doit être payé pour arriver

  1. « To fight every body and to take everything. »
  2. Greater Britain Messenger, 1899, July-August, p. 319 et 323.