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représente ainsi la tonture de deux lapins domestiques ; il en faut quatre lorsqu’on emploie le garenne, parce que l’animal, à l’étal sauvage, a le poil moitié moins abondant.

Des humbles mains du « chineur, » qui s’approvisionne chez les ménagères, les gargotiers, ou simplement dans les boîtes d’ordures, les peaux de lapin arrivent, par l’intermédiaire de marchands petits et gros, à l’usine du préparateur. Elles y subissent l’opération préliminaire de l’ « éjarrage, » en passant sous une lame de couteau qui les purge de toute la bourre folle ou duvet ; on les « secrète, » pour favoriser le feutrage, en les plongeant dans une eau additionnée de mercure et d’acide nitrique ; enfin, on les rase. Ce travail, naguère fait à la main, puis au moyen de la roue, qu’un homme actionnait en marchant comme l’écureuil dans sa cage, est maintenant exécuté par une machine d’invention américaine. — La plupart des mécanismes dont se sert la chapellerie actuelle ont été imaginés aux États-Unis.

Les tondeuses font 3 000 tours à la minute ; chacune, desservie par un ouvrier, découpe par jour 1 100 peaux, dont le cuir déchiqueté, comme une poignée de crin ou de ficelle, tombe à terre, tandis que le poil apparaît proprement rangé sur un plateau. Le premier se transformera en colle de peau ; le second, vendu par bottes d’à peu près 40 toisons, est destiné à couvrir nos têtes. A l’Exposition universelle de 1867, le public s’arrêtait émerveillé devant un appareil, où des lapins, introduits vivans d’un côté, ressortaient de l’autre à l’état de chapeau. On abusait un peu de la crédulité des visiteurs. Le chapeau, ainsi obtenu, ne provenait pas du lapin qui semblait destiné à le fournir, mais d’un de ses frères, c’est-à-dire de poil préparé et mis en place à l’avance pour une manifestation ostensible. La métamorphose complète aurait exigé beaucoup trop de temps, par les soins préalables qu’elle comporte.

Tout le poil recueilli sur le corps d’une même bête n’a pas, au reste, la même valeur : avant d’être livré au commerce, il est soumis à un triage délicat. La pelure du lièvre, par exemple, est de trois nuances distinctes : d’un jaune gris à la pointe, noire au milieu et blanche contre la chair ; celle-ci, dite « émouchée, » se paie le double de la précédente. Dans la peau de lapin, le dos fournit une marchandise appréciée cinq fois plus cher que le ventre ; pour le castor, c’était exactement le contraire.

Convertir en un tissu compact et solide ces poils, qu’aucun