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tout, jusqu’à l’ « apprêt » où passent les coiffes masculines que l’on veut rigides et jusqu’au ponçage à la pierre et au papier d’émeri. Cette extension du machinisme a réduit peu à peu le prix de façon du chapeau au huitième de ce qu’il coûtait naguère. Il est descendu de 4 francs à 1 fr. 50 et enfin à 0 fr. 60.

Ceci ne suffirait pas à expliquer comment le chapeau mou ordinaire arrive à pouvoir se vendre un franc seulement au commerce d’exportation, si l’on ne savait qu’une invention moderne a remplacé le « feutre, » — c’est-à-dire le poil de lapin, — par la toison des agneaux, ou même par les déchets du peignage des laines. Ces derniers, bien qu’ils nous viennent de loin, — la France ne produit pas de laine assez fine pour cet emploi et tire ses approvisionnemens d’Australie, du Cap ou de la République Argentine, — ne reviennent pas, tout préparés, à plus de 2 fr. 50 le kilo. Il en faut 100 à 130 grammes pour faire un chapeau, dont la matière première ne représente guère, par conséquent, plus de 0 fr. 30.

C’est, jusqu’ici, le dernier mot du bon marché, et le vendeur de ces chapeaux de laine à un franc, — les chapeaux de feutre les plus communs ne vont pas au-dessous de 2 fr. 65, — ne parvient à en retirer un bénéfice que par l’énormité de sa production. Nous avons, en France, des usines qui livrent quotidiennement 1 000 chapeaux ; il en existe une à Bruxelles qui fabrique 2 000 chapeaux, et la plus importante du globe, à Buenos-Ayres, atteint 5 000 par jour.

Dans ces vastes établissemens, la laine n’est pas seulement « ouverte, » cardée, bâtie en cône comme le feutre et dressée ; le cambrage, le tournurage des bords, l’appropriage au fer qui donne le brillant final, tout cela se fait à la vapeur, au moyen d’appareils perfectionnés sans cesse par les industriels des deux hémisphères, sous le coup de fouet d’une concurrence acharnée. Tel est l’article de grosse consommation, variant à peine, un peu plus haut, un peu plus bas, un peu plus plat, un peu plus rond, mais uniforme chaque année, et tiré à des centaines de millions d’exemplaires pour les têtes quelconques de la plèbe masculine.

Pour les femmes, au contraire, le prix du feutre n’a guère d’importance ; brute, la plus chère des « cloches » ne dépasse pas 4 francs, tandis qu’elle vaudra 150 francs peut-être au sortir de chez la modiste en renom. Une différence analogue existe, entre les deux sexes, pour ces coiffures d’été que l’on continue