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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/609

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emplette de 74 000 francs de chapeaux, — il se trouve d’assez nombreuses défaillances à passer aux profits et pertes… ou à peu près. On conte aussi, à ce propos, qu’une autre maison, désespérant d’obtenir, de l’épouse d’un législateur, paiement d’une note d’une dizaine de mille francs, fit opposition sur l’indemnité parlementaire du mari, non moins dénué de ressources que sa femme, et finit par obtenir un jugement qui lui allouait, jusqu’à règlement définitif, la somme de 50 francs par mois.

Les accidens de ce genre sont moins fréquens dans le commerce de gros ; mais il y faut compter avec les voyages et les avaries qui fanent les chapeaux : les modistes de province, pour ne se point charger de marchandises, demandent à Paris, de droite et de gauche, de nombreux « choix à condition, » au moment des fêtes, quittes à renvoyer plus tard ce qu’elles n’ont pas écoulé.


V

L’agrément le plus coûteux que comportent les chapeaux de nos contemporaines, ce sont les oiseaux. Le « paradis » blanc et noir vaut 60 francs ; les « couroucous » de l’Inde, les « multi-fils » ou les « gorges d’acier » se paient 130 à 150 francs, et il en faut trois pour garnir une toque ordinaire. On les imite fort, il est vrai, et les copies ne diffèrent pas trop du modèle : le faubourg Saint-Denis fabrique à merveille de petits volatiles jadis importés du Japon, et les « aigrettes, » à 20 francs la pièce, lorsqu’elles proviennent réellement des oiseaux de ce nom, sont le plus souvent remplacées par d’estimables contrefaçons à 0 fr. 50.

Depuis un tiers de siècle, cette industrie a subi une transformation complète : non seulement elle travaille les sortes les plus communes, tirées de nos basses-cours, de façon à simuler les plumes exotiques de n’importe quelle contrée ; non seulement elle perpétue, par d’habiles postiches, des familles ornithologiques fort en vogue bien qu’à peu près disparues, comme celle de l’ « argus ; » mais elle arrive, par des mélanges compliqués, par des assemblages, découpures et recollages, à créer des types que la nature ne connaît pas, des plumages factices et imaginaires.

La recherche des idées, consistant à utiliser, combiner et déguiser de mille façons les manteaux de la gent ailée est chez nous si active ; Paris est si bien, pour les idées, le premier marché du monde, comme Londres est le premier pour les matières