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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/614

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VI

La mise en œuvre des plumes apprêtées, travail presque exclusivement féminin, comporterait, comme tout ce qui touche à la toilette, une morte-saison écrasante, si les ouvrières n’exerçaient pour la plupart les deux métiers de plumassière et de fleuriste, dont les chômages se produisent périodiquement à des époques différentes.

La fleur artificielle ressemble fort peu au produit rudimentaire qu’elle était encore il n’y a pas beaucoup d’années : papier ou percale également grossiers, qui ne rappelaient en rien la finesse et l’aspect des végétaux ; tiges en fer ou en laiton ayant une rigidité de choses mortes ; coloris et formes sans exactitude, évoquant à peine le souvenir des modèles imités ; tels étaient les spécimens barbares dont se contentaient nos grand’mères, depuis le temps lointain où la mode féodale avait disparu, qui consistait à porter, chaque printemps, des fleurs naturelles sur la tête, des « chapeaux de roses » ou des « chapeaux de violettes de mars. »

A l’ancienne tige métallique a été substituée la tige flexible en caoutchouc, sur laquelle tremble la fleur factice, souple comme la véritable et prête comme elle à s’envoler ; pour les calices, des tissus nouveaux simulent, à s’y méprendre, ceux des plantes elles-mêmes ; le papyrus ou « moelle d’arabia » procure la sensation, grasse et froide au toucher, de la chair vivante des corolles. Des apprêts spéciaux figurent les pistils et les étamines, et reproduisent ces petits organes avec toute la délicatesse de la réalité. Aux couleurs criardes et brutales a succédé la gamme des nuances infinies de l’aniline ; aux types de convention, des copies scrupuleusement étudiées sur la nature. Eclat changeant, délicieuse coquetterie, exhalaison fraîche des corps de fleurs, onctueux et délicats, créés pour augmenter la séduction des corps de femmes, l’industrie est parvenue à faire boire à nos yeux l’illusion de tout cela. Et pour des familles horticoles miraculeusement différentes, fleurs communes ou « distinguées, » fleurs apprivoisées ou sauvages, depuis les souveraines familières de nos festins et de nos fêtes, roses ou camélias, lilas ou jacinthes, jusqu’aux bizarres et énervantes orchidées, filles des pays brûlans et malsains.

Pour la fabrication des feuillages, on a imaginé des étoffes dont le grain change suivant qu’elles représentent telle ou telle