Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/652

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour un instant, par des influences contradictoires, fut entraînée à ces mesures capricieuses et saccadées qui attestent la nervosité des États désemparés. En huit jours, les démissions du grand vizir, de Mahmoud-Pacha, du ministre de la Guerre, furent tour à tour repoussées et acceptées, sans motifs réels ou même apparens. On n’a jamais compris pourquoi le Sultan supprima soudain le grand vizirat en élevant Ahmed-Véfik-Pacha au pouvoir, sous le titre nouveau de premier ministre, et encore moins s’est-on expliqué comment, en des circonstances qui imposaient de tout autres préoccupations que les questions de formes parlementaires, le Sultan donnait à cet homme d’État la mission de grouper un ministère « homogène et responsable. » Évidemment, de part et d’autre, au sein de cette assemblée agitée sans doute par la douleur patriotique, mais impuissante à rien réparer ni conduire, et au palais momentanément éperdu, on se laissait aller aux velléités inopportunes et bizarres, on tâtonnait dans les ténèbres. Bien plus, et quand les revers devinrent plus lugubres encore, quand les Russes, maîtres du rivage asiatique de la Mer-Noire et de la majeure partie des territoires européens de la Turquie, s’avancèrent vers la capitale, l’attitude de la population, tantôt morne, tantôt tumultueuse et inquiétante, révéla davantage encore l’effarement de tous les esprits ; la Chambre désorientée, sans ligne de conduite et sans chefs, s’épuisait en récriminations vaines, en discussions houleuses et stériles, l’autorité suprême semblait vacillante et énervée, et le désarroi, l’obsession morale, en étaient venus à ce point qu’on envisageait sérieusement l’éventualité du départ du Sultan pour Brousse afin d’éviter au chef de l’Islam le spectacle des giaours campés autour de Sainte-Sophie.

Heureusement pour l’empire turc, le gouvernement se ressaisit avec une certaine promptitude : il n’avait jamais perdu la conscience de sa force, et, quelle que fût son angoisse en ces heures sombres, il comprit les devoirs que lui imposait sa puissance même, l’urgence de réagir contre la panique et de prendre les résolutions nécessaires pour préserver le pays d’un effondrement. Il avait commis bien des fautes ; mais il eut le mérite et la loyauté d’agir sans chercher à rejeter sur personne la responsabilité des infortunes publiques, ni le soin de les atténuer. Il resta jusqu’au bout fidèle à la théorie du pouvoir absolu qui revendique la tâche de reconstruire ce qu’il a ruiné. Il entama et poursuivit par lui-même, indépendamment de tout le bruit