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l’atelier. La teinte s’obtient invariablement à l’aide des couleurs dérivées du goudron de houille. Aujourd’hui plus de cochenille, ni de safran, plus d’indigo, ni d’épine-vinette, plus de gaude, ni de bois des îles. Les « dérivés aromatiques, » pour parler le langage de la chimie, règnent exclusivement, et ce malgré leur prix élevé (le rose de Chine, sans compter l’alcool nécessaire pour le dissoudre, coûte 800 francs le kilogramme ; il est vrai qu’il faut peu de substance tinctoriale). La couleur noire, qu’on applique beaucoup, exige seule un « mordançage » préalable au bain ferreux qui contribue à fixer sur l’écheveau le réactif d’alizarine ; un léger bain complémentaire à l’acide acétique ou sulfurique, pratiqué avant le séchage, avive la teinte. C’est surtout la soie des cocons jaunes qui reçoit la couleur noire ; la qualité de la soie subit une légère épreuve et le poids du fil est doublé aux dépens de son élasticité et de sa ténacité. Chose curieuse, la dose convenable de teinture noire peut se calculer exactement ; mais pour les autres nuances, l’habileté professionnelle du teinturier joue un grand rôle, surtout lorsqu’il s’agit d’appliquer des couleurs composées, comme le beige, et non des teintes primitives : jaune, rose, rouge, bleu de ciel.

Quoique la couleur à la mode pour un bas de femme paraisse à première vue chose de bien petit intérêt, la vogue exclusive dont jouit aujourd’hui le noir, malgré les tentatives poursuivies de divers côtés pour remettre le blanc en faveur, s’explique par deux raisons curieuses à examiner en passant. Il faut d’abord insister sur les progrès que la chimie a inspirés à l’art du teinturier en noir, puis sur les habitudes actives de nos contemporaines qui, faisant beaucoup d’exercice et circulant souvent à pied, recherchent pour leur chaussure une nuance peu salissante. Bonnetiers, mondaines, chroniqueurs de modes, perdront leur temps à prôner le blanc pour les bas assortis aux chaussures « habillées » d’intérieur ou d’extérieur, les habitudes étant prises. Quant à la grande toilette du soir, l’usage, exclusif bien entendu, de la soie blanche pour les bas a disparu lorsque la jupe, en s’allongeant, a recouvert le pied, comme du temps de Louis XIV[1].

Revenons aux fabriques de Ganges et pénétrons dans la plus

  1. Les rares écheveaux de soie qu’on destine à la confection des bas blancs sont, après le décreusage, décolorés à fond au gaz acide sulfureux et reçoivent ensuite un petit traitement chimique complémentaire qui achève de donner à la soie un blanc pur et brillant.