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que le caractère des ouvriers belges les porte aux initiatives audacieuses des ouvriers anglais, et les patrons témoignent à ce sujet des défiances qui se comprennent trop bien après les scènes de violence auxquelles ont donné lieu les dernières grèves. Peut-être le gouvernement belge aura-t-il à regretter de ne pas avoir cherché dans le groupement professionnel et la représentation des intérêts une base de suffrage plus facile à justifier que les réformes actuellement discutées, mais, en dépit des avertissemens donnés par des hommes de grande valeur, il faudra surmonter sur ce point des résistances invincibles.

En France, rien n’a été fait. Les révolutions politiques ont arrêté tout mouvement de réorganisation. Les gouvernemens n’ont longtemps vu dans les associations que des instrumens de conspiration, et les sociétés secrètes n’ont que trop justifié les appréhensions qu’elles causaient. Comme il arrive toujours, on s’est trouvé pris dans un cercle vicieux, les associations interdites ont été délaissées par les travailleurs honnêtes, et, seuls, les fauteurs de désordre ont bravé les prohibitions. Plus on prenait de précautions contre les associations et plus on les rendait dangereuses. Ce n’est qu’en 1884 qu’on a abrogé, en faveur des ouvriers et des patrons, la loi de 1791, et nous venons de voir que la liberté d’association est encore refusée aux autres citoyens. Cependant, en France comme partout ailleurs, l’instinct du peuple le ramène invinciblement à cette forme, à ces groupemens dans lesquels il trouve du secours et des garanties, et la rapidité avec laquelle se sont formés les syndicats de toutes professions montre combien l’idée corporative est restée au cœur des ouvriers. En dehors de cette loi, il a été fait peu de chose, à l’exception de quelques dispositions dans les lois sur les délégués mineurs, sur les sociétés coopératives. Le législateur a abandonné à l’initiative privée l’organisation des corporations.

Nous croyons que c’est une grave erreur, et que, dans une évolution aussi grave, qui peut et doit avoir sur l’avenir du pays de si incalculables conséquences, il n’est pas possible de rester neutre ou indifférent. Nous avons vu, par l’exemple des trade-unions anglaises, que l’initiative privée ne suffit pas pour résoudre tous les élémens du problème, et que, livrés à eux-mêmes, les ouvriers de certaines catégories peuvent seuls espérer constituer des organismes complets, remplissant, au point de vue économique et social, tout le rôle des véritables corporations. L’Etat doit diriger