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l’accès. De notre temps, Pierre Costar aurait été mangeur d’opium ou morphinomane.

La Grande Mademoiselle dut une grande part de sa formation intellectuelle au répertoire dramatique de sa jeunesse. Je doute qu’elle ait jamais eu, jusqu’à plus de vingt-cinq ans qu’elle prit le goût de la lecture, d’autres leçons d’histoire que les tragédies qu’elle voyait jouer. Réfractaire comme elle l’était à la sentimentalité de l’Astrée, on peut dire que Corneille fut son professeur universel, et qu’aucun personnage du temps n’a dû autant, et de façon aussi évidente, à l’action puissante qu’il exerçait sur les âmes. Un mélange de bien et de mal sortit de cette éducation. On est contraint de reconnaître, lorsqu’on suit Mademoiselle dans la vie, que les idées encouragées par Corneille, pour hautes et nobles qu’elles fussent, n’étaient pas toujours sans inconvénient pour un public trop inexpérimenté ou trop impressionnable.


II

L’action de ce grand génie sur la société française a été capitale dans les années qui suivirent le Cid. Corneille avait trouvé la scène française sous l’influence d’Honoré d’Urfé. Nous n’avons pas à nous occuper ici des farces immondes qui faisaient la joie des crocheteurs de Paris ; elles n’ont rien à voir avec la littérature, et elles avaient d’ailleurs suivi la canaille dans son exode vers les tréteaux du Pont-Neuf, lors de l’invasion des théâtres payans par la bonne compagnie. Les pastorales, en revanche, méritent qu’on s’y arrête. Elles étaient en grande faveur auprès de la société polie, et c’est contre leur influence que Corneille a réagi. L’amour y prenait possession de la scène, ainsi qu’il avait été annoncé dans la pièce qui a fixé le genre et servi de modèle par tous pays : l’Aminta[1] du Tasse. Le fils de Vénus y apparaît, au prologue, sous un déguisement de berger, et tient aux autres bergers un discours qui est devenu peu à peu le programme de notre littérature d’imagination : « Aujourd’hui, on entendra ces forêts parler d’amour dans un style nouveau… J’inspirerai à des cœurs grossiers de nobles sentimens ; j’adoucirai leur langage et le son de leur voix ; car, en quelque lieu que je sois, je suis l’Amour, dans les bergers comme dans les héros ;

  1. L’Aminta, fut jouée en 1573, mais elle ne fut imprimée qu’en 1581, et c’est alors seulement qu’on la connut hors de l’Italie.