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émergée et toute différente de la lagune semée d’îles qui est le Morbihan moderne. Celui-ci, qu’on a si bien comparé à une énorme méduse dont les tentacules flottantes pénètrent en baies profondes à l’intérieur des terres, mesure de 15 à 20 kilomètres de l’Est à l’Ouest entre la côte de Locmariaker et celle de Noyalo, et de 5 à 10 kilomètres du Nord au Sud entre l’embouchure de la rivière de Vannes près de l’île de Conlau et la côte de Sarzeau de la presqu’île de Ruys. Cela donne une superficie noyée de près de 12 000 hectares ; mais le périmètre, découpé en mille sinuosités et dentelures très complexes, dépasse de beaucoup 100 kilomètres.

On n’évalue pas à moins de 300 le nombre des îles de toutes dimensions qui forment dans ce bassin étrange un archipel aussi intéressant pour l’antiquaire que pour le géologue, au milieu duquel serpentent des chenaux de navigation très sinueux, anciens lits des trois rivières primitives. Quarante à cinquante de ces îles sont habitées et cultivées ; les autres ne sont que des écueils et des récifs aux contours variables suivant les heures de la marée, tantôt se soudant entre eux, tantôt séparés par des bancs de vase noirâtre qu’on appelle des « béhins » : l’île aux Moines, l’île d’Arty, l’île Longue, l’île aux Chèvres ou de Gav’rinis, l’île l’Argarce, l’île de Tascon, l’île Berder, l’île de Brance, les îles Huric et Huc, de Boëdie, de Boëde, de Conlau, pour ne citer que les principales[1].

Il est incontestable que tout ce pays a été submergé à la suite d’un lent affaissement du sol, et que c’est la même oscillation en sens inverse qui, en revanche, a soulevé la côte du Poitou, agissant comme un mouvement de bascule. Toutes les îles et la grande presqu’île de Ruys, qui sépare aujourd’hui la lagune de l’Océan, sont en effet littéralement couvertes de monumens mégalithiques, de dolmens, de menhirs, de tumuli. On en retrouve en très grand nombre, noyés dans la lagune même, enfouis sous la vase des bas-fonds, recouverts de 4 à 5 mètres d’eau ; et l’un des plus curieux est le cromlech de l’île de Gav’rinis, dont plus de la moitié est aujourd’hui engloutie et que des sondages ont permis de reconstituer en entier[2]. Or ces constructions ne remontent certainement pas à plus de vingt à trente siècles ; à cette époque-là, le sol était donc complètement émergé, et tout le golfe aujourd’hui noyé qu’on appelle si bien « la petite mer », le Morbihan, était

  1. De Closmadeuc, l’Ile de Gav’rinis et son monument, 1832.
  2. J. Girard, op. cit.