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dépasse 10 000 tonnes. Très évasée, regardant droit vers l’Ouest, c’est-à-dire vers le large, la baie d’Audierne est extrêmement houleuse par certains vents ; elle est célèbre par ses naufrages, et tout navire qui y est affalé y court de sérieux dangers et doit, s’il le peut, chercher promptement un abri dans l’estuaire du Goyen. Audierne n’est donc pas seulement un port de pêche ; c’est un vrai port de refuge et de salut.

Nulle part, sur toute l’étendue des côtes de la vieille Armorique, la nature ne présente un aspect plus désolé, un caractère plus tragique, que dans cette région s’étendant le long et au-dessus de la puissante muraille de granit qui dessine la baie de Douarnenez et la grève d’Audierne jusqu’au promontoire de Penmarc’h. Presque au milieu de cette côte, le continent s’amincit de plus en plus et projette en mer une longue péninsule rocheuse, dont les deux extrémités sont armées de véritables cornes, la pointe du Van et la pointe du Raz. Cette dernière est très certainement le Goboeum promontorium de Ptolémée[1] et de Strabon[2]. Entre ces deux cornes, s’enfonce la sinistre baie des Trépassés, au fond de laquelle le terrible Raz de Sein rejette comme dans une immense morgue les épaves des navires perdus, et dépose les corps des naufragés. Dans ce pays de traditions et de croyances, où le mystère touche toujours à la réalité, et qui vit quelquefois plus de rêve que de raison, les marins croient toujours entendre les plaintes de leurs compagnons disparus, mêlées aux sifflemens aigus des vents d’orage, et au grincement des galets qui roulent sur la grève ou sont projetés contre les falaises. Le fracas de la mer y est quelquefois effroyable ; et dans certains gouffres, comme celui qui est si bien désigné sous le nom de « l’enfer de Plogolf », elle bouillonne ainsi qu’un métal fondu dans une brasière gigantesque. Les coups de bélier des vagues se répercutent alors comme des roulemens de tonnerre ou des décharges d’artillerie. Glauque et miroitante à l’infini, traînant au large ses moires grises lamées d’argent, mais presque toujours veuve de soleil et déshéritée de joie, coupée çà et là d’îlots rugueux et noirâtres, tour à tour noyés ou émergés, à chaque instant couverts d’écume, et contre lesquels heurtent sans cesse les vagues mugissantes, éternellement hostile et destructive, la mer de ces parages est bien réellement une mer

  1. Γόϐαιον ἄϰρον (Gobaion akron), 15°15, 19°45. Ptol., II, VII (VIII), 1.
  2. Κάϐαιον ἄϰρον (Kabaion akron). Strab., Géog, IV. — Γάϐαιον ἄϰρον (Gabaion akron), Marc. d’Héraclée, Peripl. II, 25.