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funèbre. Même dans ses beaux jours, elle semble garder une menace et fait entendre un sourd grondement d’orgue comme si l’abîme insondable était un immense vaisseau d’église retentissant de l’hymne de ses morts ; et tout le long de la côte, elle roule éternellement des blocs mutilés, des galets et du sable, dernier degré de trituration de la roche et de l’émiettement séculaire de tous les organismes vivans qu’elle a tués, broyés et pulvérisés.

Au-dessus des falaises s’étend à perte de vue la lande rase, nue, presque déserte, tapissée seulement d’ajoncs, de genêts épineux, et d’une flore spéciale assez pauvre, presque toujours mauve et violette, les couleurs du deuil. Point ou très peu d’arbres prospères. A l’approche de la mer, ils sont tous rabougris, brûlés, se couchent ou meurent. Quelques arbustes seulement dans l’air humide, salé, et presque toujours tiède sous un ciel gris, terne, roulant, des nuages couleur de suie qui flottent lourdement chargés d’eau. De loin en loin dans le brouillard, les clochers pointus des vieilles églises apparaissent comme des fantômes. A tous les carrefours se dressent des calvaires de pierre rongés par le salin où les divins crucifiés, semblables à des ombres, étendent dans la brume leurs grands bras miséricordieux.

Il y a encore sur cette côte des coins de terre et même de grands espaces qui sont tout à fait intacts depuis des siècles, et ceux qui l’habitent semblent avoir conservé quelque chose de cette immobilité hiératique. Sur toutes les hauteurs, partout où il n’y a pas d’église, d’oratoire ou de croix, on trouve un dolmen, un menhir ou une pierre plantée ; et toute la lande est découpée en échiquier, morcelée en une infinité de compartimens, dont les clôtures sont des débris d’anciennes pierres de sacrifice. Les idées et les croyances se sont transformées sans doute, mais elles ont toujours subsisté. N’était l’alcool, dont l’usage a dégénéré en déplorable abus chez presque tous les hommes, et même chez les femmes, et qui joue un si triste rôle dans toutes les assemblées publiques, dans les fêtes de famille, les adieux du départ, les joies du retour, et jusque dans les réunions de deuil, cette race serait d’une noblesse et d’une pureté parfaites ; car elle a gardé dans ses traits et dans ses mœurs le souvenir et le respect de ses vieilles croyances, un fond de tradition et de foi qui resteront longtemps pour elle une précieuse sauvegarde.

Tous les hommes jeunes, forts, sains, qui vont à la mer et qui n’en reviennent pas toujours, ont un caractère grave et sont d’une