Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/908

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

O Virgile, divin poète aimé des sages,
Brûlant Chénier, tandis que je gémis encor,
Le faible vent du soir entr’ouvre seul vos pages
Et la feuille qui tombe y met un signet d’or !


III


La pensée est une eau sans cesse jaillissante.
Elle surgit d’un jet puissant du cœur des mots,
Retombe, s’éparpille en perles, jase, chante,
Forme une aile neigeuse ou de neigeux rameaux,
Se rompt, sursaute, imite un saule au clair de lune,
S’écroule, décroît, cesse. Elle est sœur d’Ariel
Et ceint l’écharpe aux tons changeans de la Fortune
Où l’on voit par instans se jouer tout le ciel.
Et si, pour délasser leurs yeux du jour, des femmes,
Le soir, rêvent devant le jet mobile et vain
Qui pleut avec la nuit dans l’azur du bassin,
L’eau pure les caresse et rafraîchit leurs âmes
Et fait battre leurs cils et palpiter leur sein,
Tandis que la pensée en rejetant ses voiles
Dans un nouvel essor jongle avec les étoiles.


IV


Le sable du ravin est rouge. L’eau s’écoule,
Baiser mobile et doux, sur les cailloux mouvans.
L’air bleuit, et là-bas les villes des vivans
Répandent l’Angélus du soir aux quatre vents.
J’écoute ; le geai crie et le ramier roucoule,
Le pic obstinément martèle un arbre mort.
Je vois rôder dans l’ombre une biche inquiète
Dont le pas, suspendu sur la mousse, s’arrête.
Puis, feuille à feuille et nid à nid, le bois s’endort.
Un jour mystérieux remplit l’ogive ouverte
Au loin sous les arceaux flottans de la nef verte,