c’est de donner au mot de molécule un sens convenable, celui de particule physique ultime, puisque nous ne doutons pas que l’abaissement du point de congélation ne soit un phénomène physique.
Or, ce n’est point là ce que nous faisons ordinairement. Nous prenons la notion de molécule des mains des chimistes qui nous en donnent le poids relatif au moment où elle entre en combinaison ou bien où elle en sort. Cette molécule, caractérisée chimiquement, n’est pas nécessairement la seule qui existe dans les solutions. Les Physiciens nous obligent à croire que, dans les solutions conductrices de l’électricité, elle peut être divisée en particules plus petites, les ions. Le pouvoir d’agir sur le point de congélation pourra donc appartenir à ces ions comme aux molécules entières. Disons qu’elle leur appartient, en effet ; c’est en cela que consiste l’hypothèse célèbre d’Arrhénius : « Les ions équivalent physiquement aux molécules ; les solutions concentrées sont partiellement et les solutions très étendues complètement décomposées en ions. » Il en résulte que l’abaissement moléculaire, en fait, doit correspondre, pour les solutions très diluées, au nombre des ions.
En est-il réellement ainsi ? la concordance existe-t-elle ? L’école physico-chimique, très nombreuse en Allemagne, affirme que l’accord est satisfaisant. La plupart des physiciens français le trouvent insuffisant. La question qui s’agite est minime, en apparence ; elle est de premier ordre, en réalité. Si nous voulons la rétrécir, présentons-la ainsi : Une solution contenant 58gr, 5 de sel ordinaire dans un mètre cube d’eau (considérée par les physico-chimistes comme complètement dissociée) doit avoir un abaissement moléculaire égal, non pas au chiffre normal 18, 5 mais au double, 37, puisque chaque molécule primitive est remplacée par ses deux ions. Or les déterminations expérimentales donnent, au lieu de 37, — les chiffres réels varient, — de 38 (Arrhénius) à 34, 30 (Raoult et Ponsot).
Les uns disent : il y a accord. Les autres : il y a contradiction. La même situation se reproduit à propos des mesures osmotiques, tonométriques, électriques. De là deux interprétations contraires. L’une condamne l’hypothèse d’Arrhénius, le rôle général attribué aux molécules indépendamment de leur nature propre, et la réalité même des propriétés colligatives. Tout cet édifice théorique est, aux yeux de ces juges difficiles, une pure fantasmagorie. L’autre opinion, au contraire, voit dans ces concordances approximatives la légitimation d’une des doctrines les plus ingénieuses et les plus fécondes qui aient paru depuis longtemps dans la science.