Ce n’est pas impunément qu’un écrivain a été l’un des plus grands romanciers de son siècle. Il peut avoir par la suite abjuré solennellement ses erreurs, dénoncé la vanité de toute littérature et déclaré que le travail du cerveau n’égale pas en noblesse le travail manuel ; un jour vient où la nature est la plus forte ; et parce qu’une faculté essentielle était en lui qui le portait à observer le spectacle du monde et à en reproduire par le moyen de l’art les aspects multiples et changeans, il lui arrive d’obéir encore à cet appel intérieur et de retomber dans le péché de littérature. Telle est présentement l’aventure du comte Tolstoï. Depuis longtemps, il s’était interdit le genre d’écrits qui lui avaient valu l’admiration du monde lettré : il avait renoncé à être l’écrivain d’imagination, l’évocateur d’histoire, le peintre de la société, l’analyste des âmes auquel on devait la Guerre et la Paix et Anna Karénine : il ne voulait plus se servir du livre que comme d’un moyen d’action ; il se réduisait à composer des traités de propagande d’où il bannissait, autant qu’il lui était possible, tout artifice littéraire. Et sans doute son zèle d’apôtre n’a pas diminué, sa foi dans la valeur de sa prédication morale et sociale n’a pas varié, ses idées n’ont pas changé ; seulement elles ont de nouveau revêtu une forme romanesque et d’elles-mêmes elles se sont organisées en une œuvre d’art. C’est aussi bien du point de vue de l’art que nous avons à apprécier cette œuvre nouvelle d’un artiste que son métier a ressaisi. Les idées de Tolstoï
- ↑ Résurrection, par le comte Tolstoï, traduit par M. T. de Wyzewa, 2 vol. (Perrin).