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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/943

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Et qu’il ait souvent profité de « la fortune de l’amateur, » cela aussi est incontestable : toute sa correspondance avec Ruskin n’est que celle d’un fournisseur avec son client. Mais si le fournisseur, dans l’espèce, s’est montré parfois inexact à livrer ses aquarelles, ou si même parfois il les a fait payer plus qu’elles ne valaient, on doit bien avouer que son client, d’autre part, n’a rien négligé pour lui rappeler sa qualité de « client. » C’est ce que prouve cette correspondance : et elle achève aussi de nous expliquer les causes de l’étrange défaveur attachée, aujourd’hui encore, en Angleterre, au souvenir de la personne et du caractère de ce Rossetti qui, suivant un mot de Ruskin lui-même, avait surtout le tort d’être « un Italien, » un étranger, condamné à vivre parmi des Anglais.


Le 1er mars 1853, Rossetti écrit à son maître et ami Ford Madox Brown : « Faites-moi savoir, aussi vite que possible, si vous avez parlé à Mac Cracken[1] des prix que j’ai reçus pour mes esquisses de l’exposition. Ruskin vient en effet de lui débiter, dans une lettre, le plus extravagant éloge de l’une d’elles : je dois ajouter que je ne parviens pas, d’après sa lettre, à deviner de laquelle des deux esquisses il veut parler, sans compter que son éloge s’accompagne de commentaires qui m’ont paru bien obtus. Mais le fait est que Mac Cracken semble très excité, et veut avoir l’esquisse, ignorant (ou feignant d’ignorer) qu’elle est vendue. Je voudrais donc savoir s’il connaît le prix que j’en ai reçu, car, en tout cas, s’il m’en commande une autre pareille, je suis bien résolu à la lui faire payer plus cher que celle-là, et je tiens à savoir si j’aurai ou non à lui expliquer que celle-là a été vendue à un prix d’ami. » Rossetti, comme l’on voit, ne dédaignait point de gagner de l’argent ; mais plus volontiers encore il donnait aux autres l’argent qu’il gagnait, de sorte que ce passage de sa lettre ne doit pas nous choquer autant qu’en auraient été choqués Mac Cracken ou Ruskin lui-même, s’ils l’avaient pu lire. Je l’ai cité, seulement, parce que c’est le premier passage où le jeune peintre fasse mention de l’homme qui va bientôt se constituer son client et son protecteur.

La première lettre de Ruskin à Rossetti est du 2 mai 1854 : le critique annonce au peintre qu’il va lui faire envoyer tous ses livres (ce dont Rossetti, dans une lettre à Madox Brown, se montre ingénument plus honoré que ravi) ; après quoi il lui dit : « Je me demande avec anxiété si le chagrin, ou une injuste méfiance de vous-même, ne vont

  1. Mac Cracken était un riche amateur anglais.