pour, par exemple, vous déranger un moment afin de me voir, ou pour faire une retouche à un tableau afin de me contenter pendant que je suis malade. Mais vous ne pouvez pas devenir semblables à moi, et vous n’arriveriez qu’à m’aimer moins encore, si vous essayiez de le devenir. »
Telle est, en résumé, cette correspondance de Ruskin et de Rossetti. Je dois ajouter que le peintre s’y trouve, en fin de compte, traité encore avec plus d’égards que beaucoup de ses confrères, ainsi qu’on en pourra juger par les deux traits suivans. Le 13 juillet 1855, Madox-Brown écrit dans son journal : « Tout à l’heure, comme j’étais occupé à fumer une pipe, en manches de chemise, dans l’atelier de Rossetti, entre Ruskin. Je fume, il me débite mille absurdités sur l’essence de l’art, précipitamment, d’une voix aiguë : je lui réponds poliment, après quoi je remets ma veste et me prépare à sortir. Et tout d’un coup le voilà qui me dit : « M. Brown, auriez-vous la complaisance de m’apprendre pourquoi vous avez choisi un sujet aussi laid pour votre « dernier tableau ? » Moi, stupéfait d’entendre une telle question, et de la part d’un homme que je ne connais pas, je le regarde dans les yeux, espérant une explication, et je lui demande : « Quel tableau ? » Et il me répond, en me toisant d’un air de défi : « Mais, votre tableau de « la British Exhibition ! Qu’est-ce qui a bien pu vous amener à traiter « un sujet aussi laid ! C’est grand dommage, en vérité, car certaines « parties du tableau sont d’assez bonne peinture. » Et Rossetti venait de me dire que, deux jours auparavant, il lui avait loué le sujet de mon tableau ! » Mais le second trait est plus frappant encore. M. William Rossetti a retrouvé, dans les papiers de son frère, une lettre de Ruskin, que Rossetti n’aura sans doute pas osé envoyer à son adresse. Elle était adressée à un brave peintre de Liverpool, William Davis, qui avait prié Rossetti de soumettre à Ruskin une série de tableaux, avec l’espoir que le critique consentirait à lui en acheter un : car innombrables sont les peintres que Rossetti recommandait ainsi à Ruskin, avec une bonté et un désintéressement, en vérité, admirables. Et voici la réponse de Ruskin : « Monsieur, j’ai eu grand plaisir à voir vos tableaux. Rossetti en est si enthousiaste que, sans doute, ils doivent être pleins de qualités pouvant intéresser les artistes. Mais votre travail ne deviendra jamais populaire si vous ne vous décidez pas à choisir des sujets plus intéressans. J’ai le sentiment que vous avez dû explorer des lieues avant de tomber sur un paysage aussi indigne d’être peint que celui qui fait le sujet de votre Fossé et Champ de Blé. J’imagine, après cela, que votre manière de choisir les sujets et vos habitudes d’exécution sont aujourd’hui trop enracinées pour que je puisse