de leurs familles qui avaient besoin d’une grande consolation, que tant de héros avaient succombé pour une cause juste, à laquelle le développement et le maintien même de l’empire étaient intimement attachés. En parlant ainsi, il remuait la fibre britannique à l’endroit où elle est aujourd’hui la plus vibrante, et il a recueilli des applaudissemens chaleureux, lui qui aurait dû s’attendre à ce qu’on lui demandât sévèrement des comptes. On les lui demandera peut-être plus tard. Pour le moment, on ne voit en lui que le représentant de l’Angleterre, avec ses préjugés, ses idées fixes, ses entraînemens, ses ambitions, toutes choses auxquelles elle n’entend pas renoncer, car elle en est fière : c’est en y persévérant qu’elle espère surmonter des difficultés provisoires et étendre son hégémonie sur l’Afrique orientale tout entière, depuis le Nord jusqu’au Sud. Sans doute, le raid de Jameson a été malheureux, et il est probable que M. Chamberlain en a été complice ; mais, au fond, toute l’Angleterre l’a été avec lui, et n’a d’autre regret que de l’avoir vu piteusement échouer. Il y a eu des erreurs, il y a eu des fautes, soit : les erreurs étaient excusables, les fautes sont réparables, les unes et les autres étaient peut-être inhérentes à une entreprise aussi grandiose. A un certain degré de passion tout se transforme et se transfigure, et l’Angleterre, en ce qui concerne son impérialisme, est montée à ce degré. Elle ne voit que ce qu’elle veut voir ; le reste n’existe pas pour elle ; et l’on n’imaginerait pas quelle prodigieuse ignorance de tout ce qui n’est pas exclusivement britannique elle met à la poursuite du rêve où elle se complaît. Il y aura peut-être des réveils douloureux ; ils ne se sont pas encore produits, quoi qu’on en puisse croire. Les événemens de l’Afrique australe, si graves qu’ils aient paru au reste du monde, n’ont pas ébranlé la confiance de l’Angleterre et ont à peine troublé sa confiante sérénité. Ce sont là de simples incidens, regrettables à coup sûr, mais sans importance durable, et qui laissent intacte la puissance britannique ; on le verra bientôt. Tout le mal est venu de ce que les Boers, ces Boers odieux et méchans, ont attaqué les Anglais qui ne pensaient pas à mal, en violant ainsi toutes les lois de l’humanité ! Le discours de la Reine et ceux de ses ministres répètent cette fable puérile que ce sont les Boers qui ont pris l’initiative et par conséquent la responsabilité de la guerre. Les troupes anglaises n’étaient pas encore réunies, les renforts attendus n’étaient pas arrivés : là est la cause du mal. Elle n’est pas dans la constitution britannique, comme l’a prétendu lord Salisbury ; elle n’est même pas dans l’organisation militaire du pays qu’on a trop critiquée ; elle n’est
Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/960
Apparence