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pas davantage dans les fautes commises sur les champs de bataille. Pour croire cela, il faudrait admettre que tout n’est pas parfait en Angleterre, et que tout ce que font les Anglais n’est pas nécessairement bien : et c’est ce qui n’est ni admis, ni admissible de l’autre côté du détroit. On se prend quelquefois à se demander si ce prodigieux aveuglement n’est pas aussi une force prodigieuse, et il se pourrait bien qu’il en fût ainsi. Là est la source de cette obstination que rien ne décourage, que rien ne lasse, que rien n’abat, et qui, au prix des plus grands sacrifices lorsqu’il a fallu les faire, a jeté dans toutes les parties du monde les fondemens de cet empire que nous trouvons gigantesque et que l’Angleterre estime encore incomplet.

L’Europe juge les choses un peu différemment. A tort ou à raison, elle commence à croire que l’Angleterre n’a pas en main un instrument de guerre adéquat, si on nous permet le mot, à la politique qu’elle poursuit. Nous ne parlons pas de sa flotte, qui est admirable, et qui laisse loin derrière elle les marines des autres puissances les mieux outillées sous ce rapport ; mais ce n’est pas la flotte anglaise qui lutte en ce moment dans l’Afrique australe, et elle ne peut même y servir à rien. On nous a reproché souvent, et nous nous sommes plus d’une fois reproché à nous-mêmes d’avoir fait de grandes entreprises coloniales sans avoir pris la précaution de constituer au préalable une armée adaptée à ce but spécial. On nous en a blâmés ; les journaux anglais ne nous ont pas épargné leurs critiques à ce sujet ; il nous serait facile aujourd’hui de les leur renvoyer. Si nous n’avions pas d’armée coloniale, nous avions du moins à notre disposition l’immense réservoir de l’armée française, où nous pouvions toujours en puiser les élémens. Il y avait sans doute à cela d’assez graves inconvéniens pour notre armée européenne, qui se trouvait un peu désorganisée et affaiblie, et aussi pour nos troupes coloniales, qui étaient composées de soldats trop jeunes et non acclimatés ; mais enfin les ressources ne nous manquaient pas, et nous avons pu suffire à tout. L’Angleterre ne dispose, dans sa propre armée, que d’un réservoir d’hommes beaucoup plus étroit, et, au point où on en est, elle l’a déjà épuisé tout entier. Elle a mis sur pied toutes ses réserves, même celles dont la qualité militaire est pour le moins contestable, et, si elle était obligée de faire un effort plus considérable encore, nous ne voyons pas très bien comment elle s’y prendrait : le récent discours que vient de prononcer le ministre de la guerre, lord Lansdowne, ne peut, sur ce point, faire illusion qu’à ceux qui veulent bien s’y prêter. On dit que le nombre d’hommes dont les Boers disposent est limité et ne peut pas se