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l’existence, rencontre beaucoup moins d’obstacles que dans nos climats prétendus tempérés : nulle nécessité de se vêtir, de se chauffer, de s’abriter dans des habitations bien closes, bien maçonnées, de travailler beaucoup, pour en obtenir la subsistance, un sol qui donne au moins deux récoltes par année : dans des conditions aussi favorables, il serait étonnant qu’un pays ne fût point extraordinairement peuplé. Lorsqu’on traverse les jungles épaisses qui recouvrent aujourd’hui les provinces septentrionales de Ceylan, on est frappé de rencontrer un si grand nombre d’étangs, dans lesquels il est facile de reconnaître d’anciens réservoirs artificiels qui fertilisaient autrefois des régions aujourd’hui désertes. Chacun de ces étangs atteste l’existence d’au moins un village ; certains étangs sont des lacs si vastes, que des centaines de villages ont pu s’élever sur leurs bords[1].

Le Rajawali rapporte qu’en l’an 1301 après Jésus-Christ, le roi Prakrama III, sur le point de mourir, rappela à ses fils qu’après avoir vaincu les Malabars, il avait réuni sous son sceptre les trois royaumes de l’île, Pihiti avec 450 000 villages, Rohuna avec 770 000 villages et Maya avec 250 000 villages[2]. Le Rajaratnacari rapporte qu’un siècle plus tard, sous le règne de Frakrama-Kotta, en 1410 après Jésus-Christ, il y avait 256 000 villages dans la province de Mattura, 495 000 dans celle de Jaffna, et 790 000 dans celle d’Uva[3]. Emerson Tennent fait remarquer qu’un village, à Ceylan, doit s’entendre dans le même sens que la town, en Écosse, qui signifie la moindre agglomération d’habitations, et même une simple ferme avec les bâtimens accessoires. Un village peut donc n’être qu’une maison isolée, pourvu qu’elle contienne des habitans[4]. Mais, même en réduisant à une vingtaine d’habitans la population moyenne des villages, nous trouvons encore, en prenant pour base les chiffres que nous venons de voir, que la population de Ceylan ne devait pas être inférieure à 30 millions d’habitans. Si l’on n’accepte les chiffres des chroniques qu’en faisant la part de l’exagération orientale, il faut bien reconnaître que les gigantesques ouvrages d’irrigation, les prodigieuses dagobas d’Anuradhapura et de Pollonarua, et d’autres monumens de l’ancienne civilisation cinghalaise, attestent une

  1. Tonnent, Ceylon, t. I. p. 121.
  2. Rajawali, p. 262.
  3. Rajaratnacari, p. 112.
  4. Hardy’s Eastern Monarchism, ch. XIII, p. 133. — Tennent, t. I, p. 422.