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arrêté tous les détails. Malvasia rapporte que le maître ne faisait aucun cas de ses dessins ; que la plupart de ses cartons furent détruits aussitôt qu’ils cessèrent d’être utiles. En dépit de ces hécatombes, un grand nombre de précieux matériaux ont survécu. Angeloni raconte dans son Historia Augusta que lui-même était parvenu à réunir dans son atelier plus de six cents dessins relatifs à la Galerie, tous de la main d’Annibal. Voilà l’homme que certains critiques contemporains accusent d’avoir tiré vanité du grand nombre de ses productions ! Au milieu du XVIIe siècle, Carlo Maratta et Bellori montraient encore aux étrangers quelques superbes pièces ; les autres avaient été dispersées. Le banquier Jabach en fit entrer tout un lot dans sa collection. Elles passèrent de son cabinet dans celui de Louis XIV ; c’est ainsi qu’elles font maintenant partie du patrimoine artistique de la France. Le Louvre possède une série hors de pair. Les plus beaux numéros sont exposés dans les salles ouvertes au public ; on garde les autres dans les cartons où j’ai pu les étudier à loisir, grâce à la complaisance de M. Lafenestre et de Chennevières[1]. Quelques épaves enfin ont été recueillies dans les différentes collections de l’Europe : à Vienne, à Florence, à Rome, à Lille.

La multiplicité de ces documens authentiques permet de suivre le maître dans les différentes phases de la laborieuse gestation de ses œuvres. Chez lui pourtant, la première pensée était toujours vive, originale : elle se traduisait en expressions caractéristiques. Quelquefois il préludait par des croquis à la plume vivement exécutés au moment où la silhouette d’un personnage, le contour d’une scène se présentaient à son esprit. La collection Corsini, à Rome, possède une esquisse de ce genre. On y voit représenté, avec une extrême sobriété de détails, Polyphème jouant de la syrinx. Le groupe des nymphes, au pied du rocher, quoique à peine indiqué, a déjà revêtu sa forme définitive ; l’attitude du cyclope, sa physionomie sont arrêtées. La disposition de la scène ne changera plus. Il semble que la composition se soit présentée du premier coup à l’esprit d’Annibal, avec ses élémens

  1. Dès l’année 1866, M. Eugène Guillaume, alors directeur de l’École des Beaux-Arts, indiquait, dans une conférence, ceux des dessins du Louvre qui méritaient d’être gravés ou photographiés pour les besoins de l’enseignement. Or, sur les soixante et un dessins qu’il désignait, dix sont d’Annibal Carrache et ils se rapportent presque tous aux peintures du palais Farnèse. — C’est également sur les conseils de M. Guillaume, que la maison Braun a reproduit les principaux dessins d’Annibal exposés au Louvre.