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ANNIBAL CARRACHE.

essentiels. Le Louvre conserve dans ses cartons un autre croquis à la plume, plus instructif encore[1]. Il concerne le cortège dionysiaque de la Bacchanale. Au milieu de traits jetés à la hâte, apparaît un groupe de personnages qui dansent ou jouent de divers instrumens. La jeune femme vêtue en Sciosciaria et le faune qui s’avance, un bâton à la main, percent déjà. On surprend le peintre en train de chercher sa pensée. Les élémens se présentent en foule à son esprit. Ce qui frappe dans cette pochade c’est le mouvement, l’entrain, la vie, qualités qu’on retrouve à un haut degré dans la fresque.

Venait ensuite le travail de la composition. Il s’agissait d’ordonner la scène, de distribuer les personnages, de déterminer leur attitude, de les placer enfin dans le cadre qui pouvait le mieux les faire valoir. Ce travail donnait lieu à de nombreux essais, à des tâtonnemens qui se révèlent à nos yeux sous forme d’études à la plume, à la pierre noire, au crayon rouge, aux deux crayons, avec ou sans rehauts de couleur. Annibal recourait aux procédés les plus divers pour exprimer ses idées. C’est une étape qu’il ne franchissait que pas à pas, en dépit de sa facilité, avec des arrêts, des incartades, des retours en arrière. Le Polyphème jouant de la flûte de Pan, le Pâris et Mercure sont le fruit de longues méditations. La Bacchanale ne s’est dégagée que lentement des voiles qui l’enveloppaient dans le cerveau de l’artiste. Ces efforts n’étaient pas dépensés en vain. Les compositions qui ont absorbé la plus grande somme de travail comptent parmi les meilleures de la Galerie. Les figures principales furent aussi l’objet de recherches persévérantes. Quelques-unes paraissent avoir été étudiées avec passion. Les témoignages sont à portée de notre regard : ce sont des académies conduites avec une mâle énergie, avec une sûreté de main incomparable. Toutes celles que le Louvre possède ont été exposées, à peu d’exceptions près, et c’est à juste titre, car elles constituent, sans contredit, des modèles du genre[2]. La renommée de Carrache gagnerait à ce que les personnages eussent été exécutés dans la fresque avec un égal brio.

Quand le maître était enfin satisfait de son œuvre, il arrêtait jusqu’aux moindres détails dans un dessin définitif qui servait à la confection du carton. Un de ces dessins est parvenu jusqu’à

  1. C’est le n°1-185.
  2. Voir notamment les études exposées sous les n° 150,158 et 161.