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nous : c’est une sanguine de la galerie des Uffizi[1]. Là, dans un petit espace, se trouvent réunis tous les éléments qui figurent dans la Bacchanale. Rien n’y manque, hormis la couleur. Les personnages sont non seulement dessinés avec le plus grand soin, mais modelés en perfection. Le dessin résume, comme de raison, toutes les études antérieures. Il est mis au carreau, c’est-à-dire qu’il est partagé en carrés égaux par des lignes géométriques, procédé qui permettait de transporter mécaniquement la composition sur le carton en grandeur d’exécution que l’on décalquait ensuite sur le mur. Le carton de la Bacchanale a disparu. Carlo Maratta en possédait un morceau, celui qui renfermait le cortège de Silène.

Annibal, est-il besoin de le dire ? travaillait presque toujours d’après nature. La campagne romaine, les montagnes de la Sabine lui fournissaient à profusion des modèles pour ses personnages. Sur cette terre latine par excellence, les types classiques se perpétuent à travers les siècles. Les ancêtres ont été chantés par les poètes bucoliques ; les descendans continuent à inspirer le génie des artistes. Malvasia raconte (et il n’y a aucune raison de révoquer son assertion en doute) comment Annibal s’y prit pour peindre les esclaves de bronze verdâtre qui paraissent soutenir sur leurs épaules les tableaux consacrés aux amours de Persée et d’Andromède. Il concevait d’abord une attitude répondant à l’objet qu’il se proposait ; il en faisait plusieurs esquisses ; puis il déshabillait son modèle et dessinait chacun des membres. Ce travail terminé et l’ensemble une fois établi, il transportait la figure sur le carton en se bornant au trait. Il plaçait ensuite le modèle dans l’endroit précis choisi pour la peinture. Alors, mais alors seulement, il relevait sur le carton les lumières et les ombres, de façon à surprendre en quelque sorte le secret de la nature. Il agissait aussi consciencieusement pour l’exécution des motifs simulant les stucs ; il modelait des figurines en terre glaise, afin de donner aux personnages le relief de la statuaire et non une apparence conventionnelle.

C’étaient des peines infinies, qui ne parvenaient pas à lasser l’ardeur de l’artiste. On a prétendu qu’Annibal ne s’était pas marié de peur de ne pouvoir se livrer corps et âme à la peinture ; l’histoire de sa vie autoriserait presque à le croire. Tel était son respect pour l’art qu’il n’hésitait jamais à détruire les parties

  1. Ce dessin est exposé sous le no 770.