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diplomatiques qui ne laissaient pas d’être singulièrement délicates. Il s’en fallait en effet que le traité récemment signé eût rétabli la confiance entre Louis XIV et son nouvel allié. Victor-Amédée avait beau protester qu’il était dorénavant tout Français et donner de sa fidélité le gage le plus éclatant en conduisant les troupes de France et de Savoie réunies au siège de Valenza ; il avait beau même y exposer sa vie avec une témérité si grande que le Roi, par l’intermédiaire de l’envoyé extraordinaire de Savoie, le comte de Govon, le priait « de prendre plus de précautions pour sauvegarder sa personne dont la conservation est si utile et si chère[1], » une incurable méfiance n’en subsistait pas moins chez Louis XIV, qui connaissait l’homme à fond pour avoir eu affaire à lui depuis quinze ans. S’assurer du véritable état d’esprit de Victor-Amédée demeurait donc la principale lâche de Tessé. Aussi, en négociateur délié, n’avait-il garde de négliger aucun moyen d’information.

Sur le conseil de Saint-Thomas, le principal ministre de Victor-Amédée, il s’était empressé d’entrer en relations avec la comtesse de Verrue, cette aimable, trop aimable Française, propre sœur du duc de Chevreuse, l’austère ami de Fénelon, qui, mariée et mal mariée à Turin, avait fini, après quelque temps de vertueuse résistance, par occuper à la cour de Savoie la double place si longtemps tenue par Mme de Montespan à la cour de France, à la fois maîtresse du duc et dame d’atour de la duchesse de Savoie. Il y avait huit ans que cette situation durait, et la comtesse de Verrue commençait à s’en lasser. Les caprices, la jalousie, les brutalités du duc de Savoie, auxquelles elle ne savait comment échapper, avaient tourné peu à peu sa pensée et ses désirs vers son pays d’origine où elle devait, quelques années après, chercher un refuge. Elle accepta donc avec beaucoup d’empressement les ouvertures de Tessé, et engagea une mystérieuse correspondance avec lui, mettant à profit pour lui adresser de rapides billets les momens de sa toilette où elle devait se croire assurée de ne point être dérangée : « Devinez d’où je vous écris, lui mandait-elle un jour : de ma chaise percée. » Tessé envoyait au roi copie de ces lettres en lui recommandant avec instance de les brûler. Mais que ce soit en amour ou en politique, il est rare qu’on brûle des lettres de femmes. Aussi copie de celles que Mme de Verrue adressait à

  1. Gagnière, Marie Adélaïde de Savoie. Lettre du comte de Govon, envoyé extraordinaire de Savoie auprès de Louis XIV, p. 78.