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l’agrandissement de notre maison[1]. » Mais il était trop tard. Au moment même où Victor-Amédée expédiait ces deux dépêches, il y avait déjà cinq jours qu’un second courrier était arrivé à Versailles, porteur d’une double nouvelle : Charles II était mort, et son testament, excluant la Savoie aussi bien que l’Autriche, laissait à un petit-fils de France la totalité de cette vaste monarchie dont, la veille encore, le démembrement avait été préparé et sanctionné par Louis XIV.


IV

Retournons maintenant à Fontainebleau et à Versailles, dans ce milieu familier dont Turin nous a un peu trop éloignés, et où nous allons retrouver plus d’une figure amie. Nous n’essayerons point de refaire-ici, d’après Saint-Simon, le tableau de la Cour durant les sept jours qui s’écoulèrent du 9 au 16 novembre, entre l’arrivée du courrier porteur du testament de Charles II en faveur du duc d’Anjou et l’acceptation de ce testament. Surexcitation générale des esprits, incertitude des sentimens, ardeur des uns, appréhension des autres, propos des courtisans, caquets des princesses, tout a été mis par ce roi des peintres dans une admirable lumière. Nous voudrions seulement essayer de démêler quelle fut, dans cette grande crise du règne, l’attitude des principaux personnages que nous avons déjà rencontrés. Sur les sentimens du duc de Bourgogne, les renseignemens précis font défaut. Il n’assista point aux deux conseils qui se tinrent en présence de la Pantocrate (pour parler comme Madame dans sa correspondance)[2], et où furent seulement convoqués Monseigneur, le chancelier Pontchartrain, Torcy et Beauvillier. Si de l’opinion de l’ancien maître il était permis de conclure à celle de l’élève, nous dirions que le duc de Bourgogne n’était pas, au premier abord, favorable à l’acceptation. Beauvillier fut, en effet, le seul qui opina nettement pour s’en tenir à l’ancien traité de partage, « persuadé, dit Torcy dans ses Mémoires[3], que la guerre, suite nécessaire de l’acceptation, causeroit la ruine de la France. » Il serait à

  1. Archives de Turin, mazzo 129. Lettre de Victor-Amédée à Vernon, 13 et 14 novembre 1700.
  2. Recueil Jæglé, t. II, p. 260. La présence de Mme de Maintenon à ces deux conseils ne paraît point douteuse, bien que Torcy affirme le contraire dans ses Mémoires. Mais le témoignage de Dangeau, toujours si exact, est formel.
  3. Mémoires de M. de ***, pour servir à l’Histoire des négociations depuis le traité de Ryswick jusqu’à la paix d’Utrecht, t. Ier, p. 156.