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34 REVUE DES DEUX MONDES.

— Voici l’heure de la table d’hôte, observa solennellement M. Pontal ; bien que nous n’en ayons guère envie, nous sommes obligés d’aller prendre notre repas quotidien... Si vous nous accompagnez, monsieur, j’aime à penser que vous ménagerez les apparences et que vous jugerez inutile de mettre le public dans la confidence de nos dissentimens domestiques...

— Rassurez- vous, monsieur, riposta sèchement Desjoberts, je sais vivre...

Ils descendirent ensemble dans la salle à manger et le professeur de seconde s’assit à une place vide, non loin de ses beauxparens. La table d’hôte était aux trois quarts dégarnie, la plupart des habitués ayant fait le voyage de Sainte-Anne. Quelques voyageurs arrivés du matin, et une dizaine de commensaux d’un âge mûr, demeureraient seuls, éparpillés et comme perdus dans le grand hall solitaire. Le début du repas eut lieu dans un morne silence. M me Pontal mangeait distraitement, son mari touchait à peine à la nourriture et poussait de douloureux soupirs entre chaque bouchée. Urbain Desjoberts seul faisait honneur au menu ; il était gros mangeur et la colère ne lui coupait nullement l’appétit : d’ailleurs, il avait pour principe qu’à table d’hôte, on doit consommer en raison directe de l’argent déboursé. Vers le second service, des roulemens de voiture se firent entendre sur la route, et les pèlerins du Pardon, amenés par les premiers breaks, commencèrent à apparaître. Ce furent d’abord le clergyman et ses trois filles, puis le sous-préfet et sa maisonnée. Ayant l’estomac creusé par le grand air, ils se précipitèrent à table comme des loups dévorans, et avalèrent avec recueillement le potage servi par Florentin. Quand ils eurent apaisé leur première faim, ils se mirent à raconter bruyamment leurs impressions de voyage :

— Nous pouvons vous rassurer sur le sort de mesdames vos filles, dit charitablement la sous-préfète à M me Pontal... Nous les avons rencontrées au Pardon en compagnie de MM. Rivoalen et Salbris ; elles étaient enchantées de leur excursion... Il paraît qu’elles ont passé la nuit dans un hôtel de Douarnenez, et qu’elles ne s’en sont pas trop mal trouvées... grâce aux bons soins de leurs cavaliers.

— Le pis, ajouta le sous-préfet, c’est qu’elles ont été obligées de faire la traversée en barque et que le gros temps les a passablement secouées... Ces messieurs ont dû opérer quasiment un sauve-