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qu’on peut accorder à chacun d’eux. Il les presse, les gourmande ; il poursuit de ses réclamations les retardataires et les négligens ; il s’ingénie pour obtenir en Asie Mineure et en Tunisie la restitution des objets capturés par les pirates. Il voudrait qu’on établît des taxes régulières pour les expéditions et « qu’on ne payât pas plus de 20 sols la livre pesant » pour les ballots de livres. Il prie ceux de ses correspondans qui, par délicatesse, veulent d’avance affranchir le port des paquets, — des fagots, comme on disait alors, — de n’en rien faire, car il y a plus de sécurité à ne payer qu’à l’arrivée, à la remise en mains propres, « les voituriers étant plus soigneux d’aller rendre ces fagots sous l’espérance du paiement, plutôt que lorsqu’ils ne s’attendent plus à rien avoir. » Il insiste pour qu’on lui dise exactement le temps qu’a duré chaque envoi et l’état dans lequel il est parvenu à destination. Il déploie, en un mot, l’activité et la vigilance d’un véritable directeur des postes, qui aurait à créer tous ses services, et il fait ainsi bénéficier les autres des soins qu’il prend pour lui-même.

Au point de vue moral, il n’épargne pas non plus sa peine. Sans mêler jamais à ses démarches aucune vue personnelle d’intérêt ou d’ambition, de son mieux, il s’applique à encourager les études qui n’ont pour objet que la recherche de la vérité. Sa générosité égale sa modestie ; il a toutes les ardeurs et aucun amour-propre. Il est d’ailleurs si sévère pour lui-même et si peu désireux de produire que, malgré son savoir, il n’a jamais rien publié de son cru. Mais science, histoire ou littérature, il est au courant de toutes les questions, et il connaît personnellement tous ceux qui s’en occupent. Avec eux, il ne se perd pas en paroles inutiles ; il va droit au but ; il les pousse, les confesse et très judicieusement il compare leurs solutions à celles qu’il s’est déjà procurées d’autre part. Sans se lasser, il interroge ; il harcèle ceux qui ne répondent pas ; il les fait presser par autrui et charge des tiers de leur renouveler ses demandes, jusqu’à ce que, de guerre lasse, ils s’exécutent. « Il ne faut pas, écrit-il à son ami Du Puy, que vous laissiez le sieur Rigault en repos jusqu’à ce qu’il ne m’ait dit son avis. »

Les plus grands savans, les inventeurs, tous ceux qui ont devancé leur époque sont ceux qui l’attirent le plus. Il discerne leur valeur, le mérite de leur méthode, la nouveauté de leurs vues ; mais, tout en ne leur épargnant pas la louange, il démêle ce qu’il peut y avoir de douteux, d’incomplet ou d’erroné dans leurs théories, et il leur soumet ses objections. Ainsi qu’il le dit dans