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s’établit entre eux ; c’était à qui crierait le plus fort, et, comme les nouvelles de la guerre restaient mauvaises, comme notre armée d’Italie venait d’essuyer de sanglans échecs au bord de la Trebbia, comme la citadelle de Turin avait capitulé, ce fût une occasion pour tonner plus violemment contre les vendus et les traîtres, pour réclamer des épurations, des vengeances, des décrets contre les riches et des piques pour le peuple. Tout en se défendant de vouloir rétablir le régime de 1793, les néo-Jacobins en reprenaient le ton et en imitaient les gestes. Et ce n’était rien auprès de ce que l’on entendait aux abords de leur salle. Dans le café Godeau, donnant sur les Tuileries, des hurleurs jacobins avaient établi une sorte de club extérieur. Ils parlaient couramment d’immoler des milliers de victimes aux mânes de Robespierre et de Babeuf. Derrière ce terrifiant tumulte, il parut que la Révolution hideuse et dégouttante de sang se remontrait, la Révolution bras nus, en sabots, en carmagnole, celle qui travaillait dans les prisons et coupait les têtes. Plus que jamais, le cauchemar jacobin revint hanter le sommeil douloureux où s’affaissait la France ; longtemps on se rappellerait cet affolement général, à l’aspect du rouge fantôme, et la grande peur de l’an VII.

La renaissance du club jacobin aboutit à ce que Paris ne connaissait plus depuis deux ans : le désordre dans la rue. Les fureurs du Manège provoquèrent une agitation contre-révolutionnaire. Les restes de la jeunesse dorée reparurent ; on revit les muscadins ou plutôt leurs cadets, les agréables.

Une sorte d’affiliation se maintenait entre jeunes Parisiens de classes très diverses, pour bâtonner la Révolution sur le dos des Jacobins et s’opposer par la force du poignet au retour du régime scélérat. Depuis les beaux temps de la réaction thermidorienne, les muscadins avaient changé de nom et un peu de costume ; beaucoup avaient été enrôlés dans les armées ; de plus jeunes avaient comblé les vides. Sous le régime fructidorien, durement comprimés, ils avaient fait les morts ; l’effervescence succédant au 30 Prairial parut les ressusciter. L’opinion et la mode les soutenaient ; en ce temps où le développement de la force physique était en spécial honneur, rosser les Jacobins était une façon d’attester la vigueur de ses muscles et la solidité de ses principes, un exercice méritoire et distingué, un sport, — dirait-on aujourd’hui. Les « jeunes gens » reprirent les attributs de leur ancienne profession, « collets noirs et violets, » qu’ils posèrent sur « de