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suffisamment : « On devrait mettre le feu à tous les villages où se produit une trahison et en pendre tous les hommes[1]. » Ainsi a-t-on fait du village d’Ably, et le chancelier en est tout aise. Ce qui lui plaît surtout dans les Bavarois, c’est qu’ils ont la main leste pour fusiller les francs-voleurs. « Nos Allemands du Nord s’en tiennent trop à l’ordre. Quand un de ces rôdeurs de buissons a tiré sur un de nos dragons du Holstein, celui-ci commence par descendre de cheval, puis il court sur le drôle, sabre en main, et le fait prisonnier. Il le conduit ensuite à son lieutenant, qui le laisse aller, ou bien il le livre, et le résultat est encore le même. Le Bavarois s’y prend autrement ; il sait ce que c’est que la guerre, et il est fidèle aux bons vieux usages. Il n’attend pas qu’on lui tire dessus par derrière, il tire le premier[2]. »

Ces bons vieux usages, selon Bismarck, ont du reste leur civilité ou leur étiquette. Comme on raconte devant lui que des soldats ont donné une terrible bastonnade à un curé, pris en flagrant délit de trahison, il réfléchit un instant, puis prononce : « Il faut être poli avec lui jusqu’au dernier échelon, mais il faut le pendre. » Et il dogmatise sur un si beau thème : « On ne doit se permettre d’être grossier qu’avec ses amis, quand on est sûr qu’ils ne le prendront pas en mauvaise part. C’est comme on se permet, par exemple, à l’égard de sa femme, des impolitesses qu’on ne se permet pas avec les autres femmes. » D’où cette maxime (très machiavélique aussi) : « Il faut ou traiter les gens avec le plus d’égards possible, ou les mettre hors d’état de pouvoir nuire. C’est l’un des deux[3]. »

Assez volontiers, il raillerait, il joindrait à cette sévérité toujours armée une dérision, une ironie qui la feraient tourner à la férocité. Le général Ducrot, fait prisonnier à Sedan, — les Prussiens disaient sur parole, — s’est échappé pendant la route : « Si l’on rattrapait de telles gens, s’écrie Bismarck, on devrait les pendre dans leurs pantalons rouges et écrire sur une jambe : Parjure ! et sur l’autre : Infâme[4] ! » Au dîner du 28 novembre, un de ses familiers, croyant entrer dans ses vues et lui faire sa cour, dit que, si réellement Garibaldi était pris, il faudrait les fusiller, lui et les siens, pour s’être mêlés d’une guerre qui ne les

  1. Maurice Busch, Le comte de Bismarck et sa suite, p. 173, vendredi 14 octobre.
  2. Ibid., p. 273, mardi 22 novembre.
  3. Ibid., P. 274.
  4. Ibid., p. 115, dimanche 18 septembre.