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ses adversaires politiques[1]. » Contre la France, nulle hésitation. Il est utile de maltraiter l’adversaire : donc la haine est utile, donc il faut haïr, et savoir haïr, c’est « savoir ce que c’est que la guerre ; » mais il est inutile d’outrager l’adversaire abattu ; donc tout raffinement de haine est inutile, donc il faut s’en défendre, et ne pas savoir s’en garder, c’est ne pas savoir ce qu’est la politique, ou l’oublier imprudemment. — M. de Bismarck, qui le savait au point de mettre ces vérités en aphorismes, ne l’a-t-il point, par passion, quelquefois oublié ?


II

Toute haine utile étant pour lui justifiée par son utilité même, Bismarck ne prend pas la peine de la déguiser, et durement s’exprime cette dureté froide. Il n’aime pas qu’on fasse tant de façons et, quand on sait ce que c’est que la guerre, — mérite insigne à ses yeux, — il est d’avis qu’on la mène vite et qu’on la pousse jusqu’au bout, sans attendrissement et sans ménagement. De la guerre, il ne réprouve, à l’entendre, que ce qui se cache et ce que l’on cache ; mais, au grand jour, toutes les destructions, toutes les exécutions sont permises. Si sa colère poursuit les francs-tireurs et les voue au massacre en bande, c’est que, précisément, il leur reproche de n’être pas « francs » — et de le gêner beaucoup. Il reporte sur eux, et pour des motifs analogues, l’aversion que, tout enfant, on s’en souvient, il marquait envers Guillaume Tell. Ce Guillaume Tell, chanté par les poètes, comme un héros de la liberté, — un héros de la liberté ! — qu’est-ce de plus qu’un « rebelle » et un « assassin ? » « Il m’aurait semblé beaucoup plus naturel et plus digne que Tell frappât tout de suite le bailli. Cet acte eût été l’effet d’une juste indignation contre une exigence cruelle. Mais opérer dans l’ombre et par surprise, cela ne me plaît pas, cela ne sied pas à un héros, pas même à un franc-tireur[2]. »

Ainsi la justification par l’utilité ne s’étend pas à « l’ombre » et à « la surprise ; » et néanmoins que de fraudes, de pièges, de mensonges et de trahisons on lui fait couvrir ! Aux origines de cette guerre, utile à la Prusse, et par là justifiée pour M. de Bismarck que « d’ombre » et de « surprise » accumulées ! Le

  1. Maurice Busch, Le comte de Bismarck et sa suite, p. 179, jeudi 20 octobre.
  2. Ibid., p. 190, lundi 24 octobre.