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l’idée que la dynastie française a voulu donner d’elle-même, et celle que les contemporains s’en sont formée.

Une fois le culte des deux saints Louis répandu dans l’Italie centrale par une suite naturelle de l’influence angevine, les franciscains devaient s’en emparer, par politique autant que par dévotion. Saint Louis de Toulouse n’offrait-il pas l’exemple de la « pauvreté évangélique, » en même temps que Robert d’Anjou en exposait la théorie ? Quant à saint Louis, roi de France, il accompagnait le prince angevin dans les églises de Toscane, comme sur les tombeaux de Santa-Chiara.

Ici, nous devons revenir sur un problème que d’abord nous avons seulement indiqué et que maintenant nous tenons les moyens de résoudre. Giotto a représenté dans la chapelle des Bardi saint Louis de France avec le cordon des tertiaires, que le roi n’a jamais porté. La légende qu’a traduite le peintre n’a pu lui venir de France. En effet, les fresques de la chapelle des Bardi se placent, comme limites extrêmes, entre l’année 1317, où saint Louis de Toulouse fut canonisé, et l’année 1334, où Giotto mourut. Or, un document français de 1320 environ permet d’affirmer qu’à cette date, les franciscains de Paris ne songeaient pas à répandre une erreur que les dominicains auraient énergiquement combattue. Prenons le manuscrit de la vie de saint Louis, rédigé par le confesseur de la reine Marguerite, et plein de miniatures délicieuses[1]. L’auteur est un franciscain, que l’enlumineur a représenté sur le frontispice du livre, à genoux devant le pape, auquel il présente son ouvrage. Non seulement le texte est muet sur la prétendue profession du roi dans le Tiers Ordre de saint François, mais encore saint Louis n’est représenté sur toutes les miniatures qu’en costume laïc, et nulle part le peintre français contemporain de Giotto n’a tracé sur la modeste chape du roi le cordon qu’a mis dans la main de saint Louis le maître italien. Il faut chercher en France, parmi les vitraux et les miniatures, jusqu’au milieu du XVe siècle pour trouver un roi saint Louis vêtu en cordelier. Comment donc la légende franciscaine qui s’est formée autour du roi de France a-t-elle pu être figurée à Florence avant d’être formulée à Paris ? Il faut, pour expliquer l’anomalie, nous rappeler que le culte de saint Louis est venu en Toscane de Naples.

  1. Bibliothèque nationale, manuscrit français 5716.