ménage : c’était vraiment l’idéal d’un ouvrage féminin, peu fatigant, presque récréatif, distingué, sain, s’exerçant à la maison et dans la belle saison en plein air, commençant dès l’enfance et se poursuivant jusqu’à la mort. Les enfans trouvaient là le meilleur et le plus rapide des travaux productifs, puisqu’il permettait à des fillettes de sept et huit ans de gagner de dix à quinze sous par jour. Et il retenait tout ce petit monde à la maison, les préservant des risques de la dissipation, leur donnant le goût du foyer, l’amour du village. Il avait encore cet avantage de rapporter plus à mesure que l’ouvrière avançait en âge, puisque son habileté professionnelle devenait plus grande et qu’il n’exigeait aucune dépense de force : actuellement, les meilleures de nos dentellières normandes ont de soixante à quatre-vingts ans, et j’ai vu des nonagénaires faire encore de la grande dentelle et la faire très bien. Enfin, son exercice était égal, sans à-coups ni interruption, et se conciliait parfaitement avec les diverses exigences de la vie ordinaire, car il pouvait être quitté et repris sans dommage : ainsi, au temps de la moisson, quand la récolte réclamait tous les bras, la dentellière laissait son métier pour donner un coup de main aux hommes..
La dentelle constituait donc une occupation courante, non exclusive et absolue, susceptible d’arrêt quand une circonstance plus importante sollicitait ailleurs l’activité de l’ouvrière ; le chômage, à vrai dire, n’existait pas, la production était continue. Est-il vraiment beaucoup d’industries aussi intéressantes, mieux adaptées aux nécessités de la vie des champs, plus touchantes aussi quand on songe que ces pauvres doigts de villageoises fabriquaient ainsi, sans envie, ces somptueuses parures que les élégantes devaient arborer dans l’éclat et dans la joie des fêtes ?
Cette charmante industrie a subi la crise la plus terrible qui se puisse imaginer, et c’est miracle — miracle de la force de l’habitude et de la persistance des traditions — s’il existe encore des dentellières en Normandie. Bien peu nombreuses, il est vrai ; c’est à peine si l’on en compte, dans le Calvados, un millier de régulièrement occupées et faisant des journées de dix à quinze sous ; les plus habiles, en travaillant douze ou treize heures,