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plus le naïf Vagret aura méritée et vue passer devant lui décevante et ironique.

Les trois actes où sont ainsi étalées les misères de la profession de magistrat sont presque de tous points excellens. A vrai dire, la pièce était terminée. Il est regrettable que M Brieux y ait cousu un quatrième acte, qui non seulement n’ajoute rien à la satire si bien menée jusque-là, mais même en diminue la portée. Etchepare a été acquitté, grâce à l’attitude de Vagret, qui a abandonné l’accusation. Mais, au cours de l’instruction, il a appris sur le compte de sa femme des détails qui révoltent son honnêteté, exaspèrent sa jalousie, en sorte que maintenant il repousse la malheureuse. Celle-ci, pour se venger, tue le juge Mouzon. Conclusion de mélodrame, mais qui, en outre, nous réconcilie en quelque manière avec l’affreux Mouzon, devenu une victime du devoir. Ce dernier acte gâte la pièce. On eût souhaité aussi que, dans certaines parties, le style s’élevât et traduisît par l’éloquence des mots l’éloquence de la situation. Et il manque encore cette largeur de touche qui eût donné à un personnage tel que Mouzon, si habilement dessiné dans sa réalité individuelle, les proportions d’un type. Il n’en eût pas fallu davantage pour imprimer à cette œuvre si distinguée un caractère de maîtrise.

Dans l’excellent ensemble de l’interprétation, il faut faire une place à part à M. Huguenet, chargé du rôle de Mouzon. Il y est absolument remarquable. On ne pouvait y mettre plus de simplicité, d’aisance, de naturel, de justesse, de souplesse. C’est la vérité et c’est la vie. Cette création est de tout premier ordre et met M. Huguenet hors de pair. M. Lérand a eu dans le rôle de Vagret de beaux accens d’émotion. M. Nertann est plein de gravité dans le personnage du procureur général, et M. Numès a été tout à fait amusant sous les traits du député bon garçon et joyeusement cynique. Le rôle d’Etchepare n’est pas des mieux venus. M. Grand lui a donné tout au moins une silhouette pittoresque. Il va sans dire que Mme Réjane n’était pas désignée pour un rôle de paysanne, et il est naturel qu’elle parût elle-même étonnée de s’y voir. Un juste tribut d’éloges revient à Mme Daynes-Grassot (la mère d’Etchepare) et à Mlle Caron (Mme Vagret).


RENE DOUMIC.