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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 158.djvu/710

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Mouzon met en œuvre toutes les ressources de son esprit fertile et joue « le grand jeu » afin de tirer à Etchepare et à sa femme l’aveu d’un crime qu’ils n’ont pas commis. Les scènes de l’interrogatoire sont d’une telle intensité de rendu, et, semble-t-il, d’une réalité si effroyable, que le spectateur en est dans sa stalle angoissé et tenaillé. — Le rôle du président des assises consiste à ne pas laisser passer un seul cas de cassation. Son honneur professionnel y est engagé. Donc, tandis que le débat porte sur la culpabilité d’un homme, tandis que sa liberté, son existence même est en question, un seul point absorbe toute la puissance d’attention de ce président soucieux de prouver qu’il sait son métier : c’est de ne pas laisser passer ce maudit cas de cassation qui le déshonorerait. — Le rôle du procureur est d’obtenir la condamnation du prévenu. Il insiste donc sur tout ce qui est de nature à perdre celui-ci : il laisse dans l’ombre tout ce qui serait en sa faveur. Ainsi a fait lui-même l’honnête Vagret, jusqu’au moment où, dans une révolte de sa conscience, il se redresse, se ressaisit, et trouve enfin l’énergie de sacrifier son métier de magistrat pour faire son devoir d’homme.

Enfin, si la magistrature n’est pas vénale, ce n’est pas à dire qu’elle soit indépendante. Hélas ! elle est capable de complaisances. Cette intrusion des influences politiques dans le domaine de la justice est un grand scandale. Il faut savoir gré à M. Brieux de l’avoir dénoncé avec tant de vigueur. Le procureur de la République dépend du procureur général, qui dépend du ministre. Et celui-ci dépend de ses électeurs. Mouzon connaît bien ce ricochet de dépendances. C’est pourquoi, puisqu’il est déterminé à « arriver, » il a eu soin de se mettre dans les bonnes grâces du député de l’arrondissement, qui lui-même est intime avec le garde des sceaux, dont il a jadis été le camarade dans la « Commune. » Une scène tout à fait remarquable est celle où le procureur général demande compte à Mouzon de certaine frasque un peu vive. Mouzon est jeune. Mouzon n’est pas ennemi d’une gaieté crapuleuse. Mouzon s’est fait ramasser en état d’ivresse dans les rues de Bordeaux où il déambulait de nuit en compagnie de filles de joie. Il y a eu scandale. Le procureur demande à Mouzon sa démission. Très calme, Mouzon déclare qu’il ne la donnera pas. Très digne, le procureur déclare qu’il sévira. Mais lui-même ce procureur ne demande-t-il pas son changement ? Le poste d’Orléans lui conviendrait à merveille. Ce n’est pas le moment de commettre une maladresse et de desservir ses propres intérêts par un excès de zèle. C’est pourquoi, au lieu de poursuivre Mouzon, ami du député, qui est ami du ministre, il lui fera obtenir ce poste de conseiller, cette robe rouge qu’une fois de