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un chaud démocrate, ami de Jourdan, mais aisément maniable et facile à circonvenir. Bernadotte paraissait le grand obstacle ; Siéyès le sapait et le minait par un travail de taupe, tâchant de persuader à Barras que la première qualité requise chez un ministre de la Guerre était le manque de caractère et de personnalité, une docilité complaisante.

Cambacérès le secondait de son mieux ; il travaillait de son côté à déblayer le terrain, à dégager les accès. Après le 30 prairial, à l’heure où l’on cédait tout aux Jacobins, l’administration centrale de la Seine, c’est-à-dire l’autorité collective qui avait remplacé l’ancienne commune parisienne, leur avait été livrée. Cette administration, présidée par l’ancien dantoniste Lachevardière, pourrait, au moment critique, organiser la résistance dans la rue ; elle venait de donner la mesure de ses tendances en composant la liste du jury de noms ultra-révolutionnaires. Cambacérès, ministre de la Justice, la signala pour ce fait à la surveillance des directeurs. Par ménagement lâche, le Directoire n’osa user de son droit de destitution ; spontanément, Cambacérès annula la liste, se réservant de faire casser à la première occasion l’autorité qui l’avait formée ; ce serait détruire par avance le comité central de l’insurrection.

Dans les assemblées politiques, le parti de la re vision constitutionnelle à brusquer par moyens militaires, le parti de la révision forcée, poussait sourdement sa pointe. Le Conseil des Anciens était en grande partie gagné ; il devenait de plus en plus le cénacle des révolutionnaires assagis et pénitens. Les Cinq-Cents, où Siéyès n’avait pas réussi à se créer une majorité, entrevoyaient parfois le péril ; ils voulurent retirer au Directoire la faculté de faire entrer des troupes dans le rayon constitutionnel, c’est-à-dire à Paris et aux environs, sans autorisation du Corps législatif ; les Anciens opposèrent leur veto. Deux régimens de Paris, envoyés aux frontières, furent remplacés par la 79e demi-brigade, par les 8e et 9e dragons ; ces troupes avaient été faites prisonnières à Corfou et n’étaient rentrées en France qu’à la condition de ne plus servir contre l’étranger ; il se trouva que, destinées à marcher contre la constitution au signal de Joubert, elles étaient surtout et fanatiquement dévouées à Bonaparte, ayant fait sous ses ordres la première campagne d’Italie.

Dans le Directoire, Barras, vilipendé par les Jacobins, se rapprochait de Siéyès ; Gohier et Moulins eux-mêmes se sentaient