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Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 158.djvu/736

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aux aspirations nationales, de prendre contact avec l’âme de la France. Retiré dans son exclusivisme, il s’y défendait à coups mal assurés contre des ennemis divers, frappait à gauche, puis frappait à droite parce que le péril était également de ce côté et qu’il fallait se faire pardonner d’avoir frappé à gauche ; il restait intolérant et débile, peureux et méchant, condamné d’ailleurs à l’arbitraire par faiblesse constitutive, persécuté, persécuteur.

Le président du Directoire avait beau dire, dans un discours public : « Plus de terreur, plus de réaction, justice et liberté pour tous ; » les actes des gouvernans, leur caractère, leurs possibilités même démentaient ces paroles. Fouché reconnaissait qu’il serait à souhaiter que les administrateurs républicains ne se fissent plus considérer par les populations comme des « oppresseurs ; » néanmoins, pour parer à la conspiration royaliste dont on entrevoyait partout les fils, il ne trouvait rien que des mesures d’exception et d’inquisitoriale rigueur. Il réclamait, obtenait des conseils pour deux mois le droit de faire procéder à des visites domiciliaires et à des arrestations sans mandat de justice ; c’était enlever à la liberté individuelle le peu de garanties qui lui restait ; de nombreux sévices en résultèrent ; à Paris seulement, en quatre semaines, cinq cent quarante arrestations furent opérées. En dehors même des régions troublées, les commissions militaires continuaient à fonctionner ; on fusillait de temps à autre un émigré rentré, on montrait des supplices. La terrible loi des otages, la, loi de l’impôt progressif allaient entrer en vigueur. Les édits proscripteurs de l’an V demeuraient chose intangible.

En vain des voix généreuses parlaient de justice et d’humanité, en vain des appels touchans s’élevaient. Un ouvrage venait de paraître, celui de Ramel, racontant la longue agonie des déportés de fructidor en Guyane et mettant sous les yeux du public le journal de leurs souffrances. A propos de deux d’entre eux, Barbé-Marbois et Lafond-Ladebat, Mme de Staël écrit au législateur Garât : « L’irréparable passé ne peut obtenir que des regrets, mais est-il possible de supporter l’idée qu’il reste à la Guyane deux malheureux... (Il en restait beaucoup d’autres.) Il dépend des directeurs de permettre à Marbois et à Ladebat de revenir à Oléron[1] ; obtenez d’eux cette justice. Au milieu de cette chaleur, ne pensez-vous pas avec amertume à ce que doivent souffrir ces

  1. Depuis le commencement de l’an VII, on ne déportait plus à la Guyane, mais à Oléron.