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LA FRANCE DES ANTIPODES

Quand, le 28 septembre 1853, le Phoque, un petit aviso à roues de la marine de l’État, longeant la ceinture de coraux qui rattache, comme par une double lisière, l’île des Pins à la Nouvelle-Calédonie, contourna la pointe méridionale de l’île, la nuit allait tomber et l’esprit du contre-amiral Febvrier des Pointes, commandant de la station navale du Pacifique, était dévoré d’anxiété.

Il arrivait, en toute hâte, du Callao et de Tahiti, muni de mystérieuses instructions du gouvernement de Napoléon III, qui lui prescrivaient de prendre possession de la Nouvelle-Calédonie, mais d’éviter à tout prix d’entrer en contestations avec les Anglais. Six jours auparavant, il avait mouillé, près de la Grande-Terre, dans la baie de Pouebo et, le 24, à Balade, sur un sol presque français déjà, puisque la petite maison des missionnaires s’y élevait, il avait solennellement planté le drapeau tricolore et pris, au nom de la France, possession de la Nouvelle-Calédonie. Mais des renseignemens donnés par les Pères maristes, établis dans l’île depuis dix ans, avaient inquiété l’amiral. Par une étrange fortune, le jour même où la fumée du Phoque était apparue à l’horizon, le P. Montrouzier, aussi savant naturaliste qu’apôtre admirable, avait reçu, par un bateau caboteur, une lettre d’un entomologiste australien, son correspondant, qui lui annonçait le très prochain envoi de plantes et d’insectes par un navire de guerre britannique en partance pour la Nouvelle-Calédonie. L’amiral, aussitôt, avait levé l’ancre, rangé la barrière de coraux qui borde la côte orientale de la Calédonie et mis le cap sur l’île des Pins, où, au dire des missionnaires, fréquentaient les négocians britanniques et où régnait un chef important : les