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luttes d’intérêts et d’influence locale[1]. Le représentant de la France lui-même, arbitre et pacificateur suprême de par sa haute fonction, semble parfois prendre l’attitude d’un chef de parti. Parmi les journaux, les uns parlent couramment du « parti feilletiste, » les autres du « parti clérical » ou du « parti hostile à la colonisation libre. » Nous ne nous arrêterions pas à ces querelles, si elles n’étaient que le contre-coup des passions continentales ou que la suite des entreprises coutumières de la « loge » contre l’évêque, mais elles atteignent les intérêts vitaux de la colonie.

Si l’on parcourt les feuilles patronnées par l’administration ou les discours de M. Feillet, le retour perpétuel des mêmes reproches laisse apercevoir le fond même du litige ; c’est aux missionnaires et à leurs amis qu’il est fait allusion quand on parle des « adversaires de la colonisation libre, » et, par deux fois, en 1897 et dans son dernier discours, le gouverneur, usant de la même formule, a dit : « Les excitations n’ont pas été épargnées aux Canaques, et il serait prudent, pour les adversaires de la colonisation libre, de quitter désormais ce terrain aussi dangereux pour eux que pour la colonie... Bien qu’ils continuent avec un zèle inlassable, — j’en ai la preuve, — les excitations sinon à la révolte, du moins à la désaffection, au mécontentement, à l’hostilité sourde, tout le monde sait bien aujourd’hui que cela n’est plus possible. » Voilà donc des griefs bien nettement formulés ; quant aux preuves, toujours annoncées, elles n’ont jamais été produites. Et comment pourrait-on croire que les missionnaires qui ont donné l’île à la France, qui ont fait des sacrifices pour la colonisation, qui ont eux-mêmes, à Saint-Louis, un établissement agricole modèle, soient les « adversaires de la colonisation libre ? » Est-il possible d’admettre qu’un homme comme Mgr Fraysse que les gouverneurs les moins « cléricaux » ont toujours considéré comme le meilleur ouvrier de l’œuvre française en Nouvelle-Calédonie, nourrisse de tels desseins contre « la colonisation libre » et excite les Canaques à une révolte où les missionnaires ne seraient pas épargnés ? Outre que l’évêque et ses prêtres protestent énergiquement contre une pareille supposition[2], il semble

  1. On s’étonne, en présence de cette situation, de lire, dans les premières lignes du discours du gouverneur du 6 novembre 1899 : « Nous sommes en pleine paix morale. » Quelques passages du discours lui-même sont bien la preuve du contraire.
  2. Voyez notamment la lettre de Mgr Fraysse, publiée dans la Quinzaine coloniale du 25 février 1898.