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quatrième acte. Jean et Anna reviennent de la promenade : ce dernier s’arrête un instant sous la vérandah, et regarde le lac : « — Qu’y a-t-il d’intéressant, docteur ? demande-t-elle en se retournant — Il doit s’être passé quelque chose, répondit Vockerat. On voit un agent de police dans un canot. Peut-être un nouvel accident. » Et comme Anna reprend en souriant : « — Voilà une supposition bien mélancolique, » il ajoute sérieusement : « — Il en arrive assez souvent ici : c’est une eau dangereuse. » « Ainsi, continue le commentateur, nos sens s’accoutument à la disposition des localités, et apprennent même à évaluer les distances dans le cadre où la catastrophe se produira plus tard. » Voilà vraiment une innovation bien remarquable, pour les débuts de l’âge dramatique du monde, et il faut avoir un singulier désir d’admirer pour le faire à cet endroit. Quant à nous, nous voyons simplement, dans cette préparation indispensable, le procédé le plus élémentaire, l’a b c du métier théâtral, une de ces « ficelles » dont Scribe a dès longtemps donné toutes les formules. Mais cet exemple a le mérite de nous apprendre que Steiger prétend faire admirer surtout, chez son favori, l’art du détail, la vie dans les petites choses, et l’impression de la réalité imposée au spectateur par une série de légères touches, toutes parfaitement exactes, à la manière des pointillistes. Il a trouvé souvent, avouons-le, des expressions originales pour justifier et faire partager son extase. Nous vivons, dit-il, dans « l’âge du microscope, » et l’observation de l’écrivain doit porter sur les plus infimes circonstances. Hauptmann a créé l’« art de balbutier » sur la scène, c’est-à-dire d’y apporter toutes les familiarités du langage, toutes les particularités de la diction, les tics et les négligences même de la prononciation, afin de rendre plus vivans les personnages.

Enfin, résumant par une expression très allemande les précédentes considérations, et toute l’originalité de l’auteur des Tisserands, M. Steiger le considère comme l’inventeur de « l’éternel Instantané » das éwig Augenblickliche, et il célèbre sans se lasser les charmes de cette figure allégorique. « Pour l’oreille affinée du dramaturge par droit de naissance, dit-il, un murmure, une pause, une hésitation du discours, une parenthèse, un mot d’argot, deviennent une révélation de pensées et de sentimens humains. Et, plus il se plonge dans l’étude de ces procédés si proprement dramatiques, plus il vit dans le commerce de l’éternel Instantané, plus l’habileté des anciens écrivains de théâtre à transformer en