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dans l’ouvrage de M. Cross, au détail de cette élaboration, avec ses alternatives d’idéalisme et de réalisme, avec l’infinie variété de ses tendances et le continuel avortement de ses tentatives.

Voici d’abord le roman sentimental. Dans l’Homme sensible (1771), Henry Mackenzie nous montre son héros mourant d’émotion parce qu’une belle jeune fille lui a avoué qu’elle l’aimait : « Harley saisit la main de miss Walton ; une couleur languide rougit ses joues, un sourire brilla faiblement dans ses yeux. Il releva les yeux sur la jeune fille : ses yeux s’obscurcirent, devinrent fixes, se fermèrent. Il soupira et s’affaissa sur le plancher. Miss Walton poussa un grand cri d’effroi. Sa tante et les domestiques de Harley accoururent : ils trouvèrent le jeune homme et son amie gisant ensemble, inanimés. Le médecin mit tout en œuvre pour les rappeler à la vie : il parvint à y rappeler miss Walton, mais l’âme de Harley s’en était allée à jamais. » — Voici le roman évangélique. Le Fou de qualité d’Henry Brooke (1770) est l’histoire d’un jeune gentilhomme qui visite les prisons et les hôpitaux, et dépense en aumônes tout l’argent qu’il reçoit de l’un de ses oncles ; tout cela pour nous inspirer le goût des vertus chrétiennes. — Voici le roman pédagogique, tel que le représente surtout le fameux roman de Thomas Day, Sandford et Merton (1783). — Voici le roman socialiste et révolutionnaire. « Toute chose est gâtée dès que l’État s’en occupe, » lit-on dans l’Anna Saint-Yves de Holcroft (1792) ; « le seigneur et son valet de pied sont égaux en droit ; le riche affirme que ce qu’il possède lui appartient, j’affirme, moi, que ce qu’il possède appartient à celui qui en a le plus besoin. » — Voici le roman mondain. Miss Frances Burney, dans Evelina (1778), nous promène à travers les salons et les lieux de plaisir ; elle nous présente les misses Branghton, qui se font passer pour plus jeunes de deux ans qu’elles ne sont, et M. Smith, avec ses « airs distingués, » qui prend Neptune pour un général, et lord Merton, le viveur, qui annonce tous les jours qu’il va se corriger, et lady Louisa qui ne manque jamais, quand elle entre dans un salon, de se jeter sur le sofa en se plaignant d’avoir la migraine. — Voici le roman cosmopolite, où excelle miss Edgeworth, peignant le contraste des mœurs anglaises et des mœurs irlandaises, comme, plus tard, d’autres romanciers se plairont à opposer aux mœurs anglaises les mœurs américaines. — Voici le roman satirique et psychologique de Jane Austen, le roman historique de Jane Porter et de Joseph Strutt. — Et voici enfin le roman « gothique. » Déjà Horace Walpole, dans son Château d’Otrante (1764), s’ingénie à décrire un château mystérieux, avec une tour noire et des galeries souterraines : il y place un