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ne l’arrêta dans sa démence. Les Cinq-Cents convinrent d’abord que l’impôt se percevrait par prélèvement progressif additionnel aux contributions foncière, mobilière et somptuaire ; les basses cotes seraient épargnées. Il eût paru incivique de ne pas s’acharner spécialement sur les ex-nobles, les ci-devant, ces privilégiés à rebours, cette classe devenue taillable et corvéable à merci ; ils auraient à payer double ou triple taxe, suivant les cas. La Chambre sentait toutefois que cette matière imposable, tant de fois pressurée et tordue, dont on avait exprimé tout le suc, ne rendrait plus grand’chose ; l’effort porta principalement contre les enrichis de la Révolution, contre ceux dont le luxe, fait de rapines ou d’agiotage, s’était dressé insolent au milieu du peuple affamé, contre ceux qui avaient mené sous le précédent Directoire la bacchanale des écus ; l’ancienne caste nobiliaire n’avait pas excité plus de colères que cette grossière et flambante aristocratie d’argent, devenue le point de mire de toutes les haines, la cible de toutes les attaques.

Comment l’atteindre, puisque les fortunes à frapper se composaient moins de biens-fonds que de numéraire, puisqu’elles étaient en portefeuille et cessaient de se manifester par des signes extérieurs ? Ajoutez que certains hommes, accusés de gains excessifs, n’avaient jamais mené grand train ; ces spéculateurs étaient aussi des thésauriseurs. Par un entraînement à prévoir, par la logique impitoyable des conceptions fausses, on en vint très vite à l’idée d’une taxation purement arbitraire, d’une évaluation en l’air, d’après des données approximatives, d’un jury inquisiteur, sorte de tribunal révolutionnaire chargé d’exécuter la grosse finance.

Le projet de loi établi sur ces bases fut envoyé par les Cinq-Cents aux Anciens : le soulèvement de l’opinion était tel contre les « Wisigoths » qui avaient façonné « ce chef-d’œuvre d’absurdité, » que les Anciens le repoussèrent d’abord. Mais les Cinq-Cents tenaient à leur jury avec un entêtement obtus ; en vain des hommes compétens, versés dans l’économie politique, leur montraient la fuite des capitaux, l’évanouissement du luxe ; les Jacobins du conseil répondaient que l’argent se cachait méchamment, par passion contre-révolutionnaire ; qu’on saurait bien l’atteindre et le tirer de ses retraites. La loi légèrement adoucie fut renvoyée aux Anciens, et ceux-ci, de guerre lasse, finirent par la voter.

D’après le texte définitif, adopté le 19 thermidor-6 août, l’impôt