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s’était désintéressé jusqu’ici du mouvement. Le public en jugeait ainsi et peut-être y aurait-il eu quelque danger à laisser s’accréditer plus longtemps une telle opinion. C’est pour la dissiper que iut fondée à Morlaix, en 1898, à la veille même de la représentation du Mystère de Saint-Gwénolé sur le théâtre de Ploujean, l’Union régionaliste bretonne. Le cadre étroit de l’Association bretonne ne lui donnait de jeu que sur les questions de langue. L’Union régionaliste voulut être quelque chose de plus qu’une ligue pour la défense du breton, et c’est à la reconstitution de la vie bretonne, sous toutes ses formes, qu’elle voua son activité future. Cinq sections furent créées à cet effet dans la nouvelle association : économique, administrative, artistique, de langue et littérature française, de langue et littérature bretonne. Et tout de suite M. Anatole Le Braz, qui avait été appelé à la présidence du bureau, affirmait la stricte neutralité de l’Association, qu’appuyait la composition éminemment bigarrée du bureau lui-même. Le régionalisme est, jusqu’à nouvel ordre, une terre vague, un border politique, où toutes les opinions se trouvent à l’aise et chez soi parmi les autres. Sur un point cependant, l’entente est déjà faite entre les régionalistes comme entre les membres de l’Association bretonne : après avoir obtenu que le breton cessât d’être à l’index dans les écoles congréganistes, les uns et les autres demandent que le gouvernement lève l’interdit qui pèse sur cette langue dans les écoles de l’État. Si cet interdit profitait encore à la connaissance du français, il n’y aurait que demi-mal. Mais le français, en dépit de tous les efforts, n’a pas gagné un pouce de terrain sur le breton. Les limites des deux langues sont les mêmes aujourd’hui qu’au XVIe siècle[1]. Le breton s’est seulement corrompu au contact du français ; la fleur de l’idiome s’est perdue, comme le joli teint des paysannes dans l’air vicié des grandes villes.

C’est un fait remarquable cependant que cet accord spontané, sur les questions de langue et de littérature, des fractions les plus diverses de l’opinion bretonne. Il apparaît bien qu’à leurs yeux à toutes frapper un peuple dans sa langue, c’est le frapper dans ses libertés les plus essentielles, couper de vive force toutes ses communications avec le passé. « Comment nos morts nous enten-

  1. Il suffit de consulter les cartes : du promontoire de Porz-Lazo au nord jusqu’à l’embouchure de la Vilaine au sud, la Frontière de la langue celtique suit une ligne oblique et tortueuse par Chatelaudren, Loudéac, Pontivy et Elven.